Sénégal : quatre-vingts ans plus tard, la France fait un pas vers la reconnaissance du massacre de Thiaroye

En 1944, des dizaines de tirailleurs avaient été exécutés par l’armée française près de Dakar. Six d’entre eux viennent d’être reconnus « Morts pour la France » à titre posthume, mais beaucoup reste à faire pour comprendre les circonstances de ce drame.

Le Monde – « Mort pour la France. » Ces quatre mots lourds de sens, Biram Senghor les attend depuis quatre-vingts ans pour son père, exécuté, comme plusieurs dizaines de tirailleurs, le 1er décembre 1944 à Thiaroye, au Sénégal, sur ordre de l’armée française. Après des décennies de combat pour leur mémoire, l’homme de 86 ans vient d’apprendre que cette mention honorifique a été octroyée à titre posthume à six d’entre eux, dont M’Bap Senghor, son père.

Cette attribution a été délivrée en toute discrétion le 18 juin, selon un document consulté par Le Monde et rédigé par l’Office national des combattants et des victimes de guerre (un organisme rattaché au ministère français des armées), soit deux jours avant la première rencontre entre le nouveau chef de l’Etat sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, et Emmanuel Macron à Paris.

« C’est l’aboutissement de tant d’efforts contre l’injustice que ma famille a subie », confie Biram Senghor. Après avoir été informé oralement de la nouvelle, il se dit « impatient » de recevoir le document officiel, qui doit lui être envoyé par valise diplomatique. « J’avais 6 ans lorsque j’ai appris dans quelles conditions mon père était mort. Depuis, je cours derrière la France pour obtenir réparation. J’ai été confronté aux silences et à la lâcheté de l’Etat, mais aujourd’hui, c’est une grande victoire qu’il reconnaisse ses torts », poursuit l’ancien gendarme.

Fosses communes

 

Cette reconnaissance est un geste inédit dans un dossier mémoriel douloureux entre la France et ses anciennes colonies. A Thiaroye, une ville située non loin de Dakar, des dizaines de tirailleurs africains (35 selon les autorités militaires, dix fois plus selon plusieurs historiens) ont été exécutés, le 1er décembre 1944, pour avoir manifesté afin de toucher leur solde.

Ces soldats originaires des colonies françaises avaient été mobilisés lors de la seconde guerre mondiale, avant d’être faits prisonniers en 1940 par les nazis dans des « frontstalags », des camps situés essentiellement en France, les Allemands ne voulant pas de détenus d’origine africaine sur leur territoire. Libérés en 1944 par les Forces françaises de l’intérieur ou les Américains, ils ont été plus de 1 300 à être renvoyés en bateau depuis Morlaix, direction Dakar.

 

Avant de regagner leur famille, ils attendent à Thiaroye, en banlieue de ce qui est alors la capitale de l’Afrique occidentale française, le paiement de leur salaire et de leur prime de démobilisation. Mais comme rien ne leur est versé, ils décident de manifester pour obtenir leur dû. Alors que la tension est palpable avec la hiérarchie militaire, au petit matin du 1er décembre 1944, lors du salut au drapeau auquel assistent les tirailleurs, des coups de feu éclatent. Des dizaines d’entre eux tombent sous les balles de frères d’armes ayant reçu l’ordre de les abattre.

Les corps sont enterrés à la hâte dans des fosses communes. Dans ses rapports, l’armée française évoque une mutinerie de rebelles « lourdement armés » qu’elle a été contrainte de réprimer malgré elle. La thèse de la « riposte » sera maintenue durant des décennies. « Thiaroye inaugure une longue séquence de répression coloniale. Après cette tuerie, une série de massacres vont suivre : à Sétif en 1945, à Madagascar en 1947, en Indochine… Or dans le cas de Thiaroye, il ne s’agissait pas d’une lutte politique d’indépendantistes, mais de travailleurs en uniforme réclamant leur dû », observe l’historien Martin Mourre, auteur de Thiaroye 1944, Histoire et Mémoire d’un massacre colonial (Presses universitaires de Rennes,

Demandes de réhabilitation

 

Quatre-vingts ans après cet épisode sanglant emblématique de la violence coloniale, et alors que de nombreuses archives n’ont toujours pas été ouvertes aux historiens, le flou demeure sur le nombre de morts et la localisation précise des fosses communes. L’octroi du statut « Mort pour la France » pour les six soldats africains pourrait permettre de franchir une nouvelle étape.

« En reconnaissant que ces hommes n’étaient pas des mutins et qu’ils ont été assassinés par l’armée, le ministère des armées démontre qu’il possède des archives le prouvant. Mais ces documents, ainsi que d’autres localisant les fosses communes, ne sont toujours pas consultables, regrette l’historienne Armelle Mabon, qui consacre depuis dix ans ses travaux au massacre de Thiaroye. L’Etat doit par ailleurs étendre cette mention de reconnaissance à toutes les victimes de Thiaroye. » Le secrétariat d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire n’a pour le moment pas donné suite aux sollicitations du Monde sur ce dossier.

 

 

 

Lire la suite

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page