Faut-il vraiment supprimer les noms de plantes jugés racistes ?

Réunis en congrès, les botanistes du monde entier ont pris cette décision historique. Elle ne fait cependant pas l'unanimité.

Dovyalis caffra, un pommier originaire d’Afrique australe, devra officiellement changer de nom. Cela ne va sûrement pas bouleverser votre vie mais, dans le milieu de la botanique, c’est une petite révolution. Réunis en congrès international à Madrid, les représentants de la discipline ont voté le 18 juillet la disparition du terme «caffra» dans les noms des plantes, champignons et algues du monde entier.

Le mot a désigné, pour les colonisateurs européens, les populations du sud de l’Afrique en opposition aux «vrais nègres» depuis le début du XVIe siècle. Un terme aujourd’hui considéré comme raciste et offensant, à tel point qu’on a interdit son usage en Afrique du Sud. Pour gommer cet héritage, les quelque 300 plantes nommées ainsi seront corrigées en «affra», pour mieux refléter l’origine africaine des espèces. Une première historique pour tenter d’amorcer une décolonisation de la science, qui évite généralement le changement.

Un processus qui n’a presque jamais évolué

 

C’est «une sorte de face négative du wokisme», regrette Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), pour qui «on s’achète là une bonne conscience sur de vrais problèmes qu’on ne gère pas en profondeur». Totalement absentes des débats lors de la dernière convention de nomenclature en 2017, les critiques sur la botanique ont depuis largement émergé.

De plus en plus de scientifiques des pays des Suds pointent du doigt la mainmise encore forte des Occidentaux. Sur les 150 personnes présentes pour voter les changements du code à Madrid, les porte-paroles des grandes institutions comme le MNHN de Paris ou le New York Botanical Garden conservent par exemple le plus de voix.

Depuis près de trois siècles, les règles de nomination des espèces naturelles conçues par les Européens n’ont ainsi presque jamais varié. On renseigne d’abord le nom de genre en latin, soit le groupe qui partage des caractéristiques communes, comme «dovyalis» pour le pommier Kau. Puis la personne qui découvre cette espèce est libre d’inscrire une épithète spécifique, à la seule condition qu’elle n’existe pas encore: «caffra», par exemple. Le tout est écrit en italique, suivi du nom de l’auteur et parfois de la date de découverte.

Ces règles simples donnent lieu à des noms étranges, comme l’insecte Scaptia Plinthina beyonceae, en référence à la chanteuse américaine de R’n’B, ou le papillon Neopalpa donaldtrump, aux écailles proches de la coiffure de l’ex-président américain. «Il y a quand même des règles de savoir-vivre: vous n’allez pas insulter vos voisins, c’est peut-être bien de le rappeler en principe», précise Marc-André Selosse.

Après les statues, la botanique?

 

Oui, mais voilà: cette liberté a aussi permis la nomination de nombreuses espèces en référence à des termes offensants ou à des personnes controversées. George Hibbert, un membre du lobby proesclavagiste de Grande-Bretagne, qui donne son nom à plusieurs plantes, est par exemple sous le feu des critiques.

«Qu’il ait été un riche patron de la botanique (ses richesses provenant en grande partie de l’esclavage) ne peut pas éclipser ses attitudes, qui même à l’époque étaient largement considérées comme offensantes», écrivaient les chercheurs australiens Timothy Hammer et Kevin Thiele dans une proposition d’amendement en 2021. Pour ne pas froisser les descendants d’esclaves, ils suggéraient de modifier les dénominations qui l’honorent toujours.

«Il ne faut pas faire sur-parler les noms, répond Marc-André Selosse. Le problème n’est pas de les figer dans le marbre. Il y a des noms de genre qui disparaissent, d’autres qu’on fait évoluer. Mais il faut que l’étiquette reflète une position exacte et pour des questions pratiques, il faut qu’elle change le moins possible.» Ouvrir la possibilité de refuser ou de modifier la dénomination entraînerait un certain flou, jugent ainsi certains botanistes.

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Alban Leduc — Édité par Louis Pillot

 

 

Source : Slate (France)

 

 

 

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