Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris olympisé !

À trois jours de la cérémonie d'ouverture des JO, Paris ressemble à une ville qui se prépare à la guerre.

Slate – Ces derniers temps, Paris ressemble à une zone de guerre quelques jours avant le début des hostilités. La ville s’est vidée de ses habitants; en certains endroits, des grillages ont été érigés le long des rues. À toute heure de la journée et même de la nuit, des voitures et cars de police déboulent de partout, sirènes hurlantes. Des stations de métro ont tiré le rideau. Pour aller d’un endroit à un autre, il faut se munir d’un laissez-passer.

Le quidam qui débarquerait de la lune penserait, au vu de ce spectacle, que Paris est à la veille d’une bataille sanglante. Pourtant, aux dernières nouvelles, l’Allemagne hésiterait encore à franchir le Rhin tandis que l’avancée des armées autrichiennes aurait été stoppée au niveau de Montélimar. Quant à l’armée russe, depuis sa percée du côté de Sedan, selon les dernières informations recueillies auprès de l’état-major, elle attendrait le renfort du deuxième bataillon d’infanterie pour passer à l’offensive. Mais pour l’heure, tout est calme sur le front de l’Est.

Qui aurait pu imaginer que la simple organisation de Jeux olympiques entraînerait un tel chambardement, une telle débauche sécuritaire ? Pour tout dire, on croirait vraiment assister aux préparatifs d’une bataille fatidique, de celles qui déterminent le cours de l’histoire. Imaginez qu’il y a 10.000 militaires déployés à Paris et alentour ! On pensait fêter le sport, on se retrouve plongé dans une atmosphère de campagne napoléonienne ou à la veille d’une mobilisation générale.

Qui sait si demain, à la première heure, des bureaux de recrutement ne vont pas ouvrir aux quatre coins de la capitale ? À moins qu’on nous invite, à grands coups de sirènes, à trouver refuge dans les caves de nos immeubles et autres abris de fortune. Paris! Paris outragé! Paris brisé! Paris martyrisé! Mais Paris olympisé! Olympisé par lui-même, olympisé par son peuple avec l’appui des armées de la France, avec le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.

Il faut dire que tout ce foutoir n’aurait jamais eu lieu si Paris s’était contenté d’organiser sa cérémonie d’ouverture au Stade de France. Mais non, par je ne sais quelle mégalomanie bien cocardière, il fallait que nos Jeux olympiques ne ressemblent à nuls autres. Après tout, nous sommes la France, hein, pas le Bangladesh ou l’Angleterre. Nous sommes le phare du monde, son étoile polaire, son sextant, sa boussole, son guide. On n’allait tout de même pas se contenter de voir des délégations tourner comme des couillons autour d’une piste d’athlétisme, non monsieur, en France on pense grand, on pense fort, on voit loin, très loin même.

C’est ainsi qu’on a décidé de privatiser la Seine pour en faire le décor d’une cérémonie promise à dépasser en beauté et en grandeur tout ce qui n’a jamais été conçu par l’esprit humain. Vendredi, la France a rendez-vous avec son génie séculaire. Tout se passe comme si à travers cette cérémonie, la France cherchait à se rassurer sur elle-même, à trouver sous la forme d’une parade nautique matière à embrasser le siècle tout entier. À retrouver sa place parmi les grands de ce monde.

Et après tout, pourquoi pas ? La France, pour mille raisons, occupe une place à part dans le concert des nations. La France ne fait jamais rien comme les autres. Pour le meilleur et pour le pire. Elle a donné la Révolution au monde, elle fut de toutes les nations européennes la seule à signer un armistice avec l’envahisseur nazi et à collaborer activement avec lui. En France, tout se fait à l’excès, dans une sorte de panache qui peut autant agacer qu’émerveiller. L’arrogance française n’est pas un mythe, elle est parfois une flamboyance de l’esprit qui provoque l’admiration de chacun, elle est souvent la démonstration d’un orgueil mal placé où l’on devine, entre les lignes, un mal-être, un besoin d’éblouir pour mieux se faire aimer.

Les Jeux olympiques devraient être la fête de l’innocence retrouvée. De la fraternité universelle. Des retrouvailles d’une humanité réconciliée avec elle-même. Hélas, depuis longtemps maintenant, ils se sont contentés d’être une sorte de foire commerciale aux ambitions de plus en plus démesurées, de course au gigantisme où l’on ne sait plus trop bien ce qu’il nous faut admirer, les exploits des champions ou le déploiement vertigineux des forces de sécurité.

On aimerait pouvoir assister aux compétitions, les mains dans les poches, insouciant et libre comme l’air. C’est tout le contraire. Il faut montrer patte blanche, exhiber des autorisations, être fouillé, marcher au milieu de militaires armés jusqu’aux dents, se montrer vigilant au moindre mouvement de foule. Une sorte de folie des temps modernes où le plaisir ne se donne qu’à ceux assez fous pour endurer mille désagréments.

Mais je dois vous laisser, il se fait tard.

Avant de me coucher, il me faut encore lustrer mon fusil, vérifier mon paquetage, m’assurer que tout est en ordre.

Demain, la mère des batailles commence !

 

 

 

 

Laurent Sagalovitsch

 

 

 

Source : Slate (France)

 

 

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