Sous la voûte d’une cathédrale de bambous géants, de palmiers et de kapokiers, Lucky se blottit dans les bras d’Huguette Lawu, tête calée dans son cou, pour un câlin sans fin. Orphelin recueilli à l’âge de 4 mois, il est encore terrorisé par la mort de sa famille et aura besoin de longues semaines pour s’apaiser. Huguette Lawu est devenue sa mère de substitution et le restera durant cinq ans, le temps que Lucky soit sevré et rejoigne le monde des grands. Si tout se passe bien, il pourra rapidement élargir son champ d’affection à une tantine ou deux.
Lucky est un bébé bonobo qui doit sa survie au travail d’une soixantaine de personnes du seul centre de réhabilitation et de préservation qui leur est dédié dans le monde, Lola ya bonobo, le « Paradis des bonobos » en lingala, situé à 25 km de Kinshasa. Et pour cause : faute de savoir nager, ce grand singe, génétiquement le plus proche parent de l’homme, n’a jamais quitté la République démocratique du Congo (RDC), l’énorme fleuve ayant fait office de barrière naturelle. A l’instar d’Huguette, vétérinaires, jardiniers, infirmières et éducateurs se dévouent au sauvetage de 73 résidents, dont 8 bébés, du petit domaine où la forêt a repris ses droits sur la capitale tentaculaire de 12 millions d’habitants.
Moins de 20 000 bonobos en RDC
Victimes de braconnage et de trafics, les bonobos, comme leurs cousins chimpanzés et gorilles, vivent en sursis en RDC. Ces grands singes ont vu leur nombre fondre au fil des décennies et de la destruction de leur habitat : les massifs de la forêt équatoriale du bassin du Congo qui s’étendent sur six pays et constituent le deuxième poumon de la planète après l’Amazonie.
Les trois espèces sont classées en danger d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Entre 1980 et aujourd’hui, le nombre des bonobos est passé de plus de 100 000 individus à moins de 20 000 en RDC. Les habitudes alimentaires, mais aussi la pauvreté ont poussé les populations de ce pays d’Afrique centrale à les chasser pour manger leur viande. En 2023, trois Congolais sur quatre vivaient avec moins de 2 euros par jour, selon la Banque mondiale.
« Lucky nous a été confié par des gens du bourg voisin de Lola. C’est un vrai progrès. On voit que le travail de sensibilisation a un impact, explique Suzy Kwetuenda, biologiste et coordonnatrice de recherche du centre. Pour que la population cesse de participer aux trafics, il faut qu’elle profite des retombées économiques d’un tel projet. Comme on dit ici : “On ne mange pas le discours” ! Ce sont donc les villages alentour qui cultivent les fruits et les légumes que nous leur achetons pour nos bonobos, qui sont essentiellement végétariens. »
Lola ya bonobo a été créé en 2002 sur la rive gauche du fleuve, tout près des petites chutes de Lukaya, par une femme : Claudine André. Cette Belge de 77 ans, qui a vécu toute sa vie en RDC, sauve en 1993 son premier petit bonobo, Mikeno, du zoo de Kinshasa, laissé à l’abandon après les pillages meurtriers perpétrés par l’armée de Mobutu.
Dix ans plus tard, d’autres orphelins ont rejoint Mikeno, les petits ont grandi et des groupes se sont constitués. Mais les protégés de Lola sont loin de leur habitat naturel, la vaste forêt équatoriale, plus au nord, qui recouvre la moitié de ce pays grand comme quatre fois et demie la France.
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