
M Le Mag – Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq, avec quelques cheveux blancs dans ses dreadlocks et sa barbe, le chanteur de reggae Tiken Jah Fakoly, 55 ans, a l’air d’un guerrier au repos. « Je n’ai jamais autant transpiré pendant des concerts », avoue-t-il à son producteur qui vient le saluer dans les locaux de sa maison de disques.
La tournée qu’il donne actuellement en acoustique remporte un beau succès. Elle passera par nombre de festivals cet été pour se terminer à l’automne à la Salle Pleyel, à Paris. Son album, Acoustic, sorti en février, reprend, avec sept musiciens jouant des instruments traditionnels d’Afrique de l’Ouest, les titres de son répertoire qui l’ont fait connaître au grand public : Plus rien ne m’étonne, Africain à Paris, Ça va faire mal, Ouvrez les frontières…
Il y invite quelques-uns de ses amis : les Français -M- et Bernard Lavilliers, la voix jamaïcaine du trip hop anglais Horace Andy et le poète brésilien Chico César entonnent avec lui ses morceaux engagés qui dénoncent la corruption, la mainmise de l’Occident sur la politique des pays d’Afrique de l’Ouest et lancent des appels à l’unité. « Il y a des percussions, des djembés, de la kora, du balafon, du doundoun. Ce sont des instruments qui me bercent. Quand je les entends, je ne peux pas rester tranquille. C’est l’enfance qui revient, je revois ma mère danser. Et, d’ailleurs, les pas de danse que je fais sur scène, je ne les avais jamais faits avant sur les rythmes traditionnels du soli ou du soukous. »
Cette envie frénétique de bouger à l’écoute de la musique… C’est par elle que tout a commencé. De son vrai nom Doumbia Moussa Fakoly, le chanteur est né à Odienné, à 900 kilomètres au nord d’Abidjan (Côte d’Ivoire), à la frontière du Mali et de la Guinée. Alors qu’il a 7 ans, son père s’offusque de ses mauvaises notes. « Il m’a dit : “Arrête de danser, il faut bosser. Les deux ne vont pas ensemble.” Alors, il m’a envoyé dans un village poursuivre ma scolarité. » Là, ses oncles routiers font régulièrement étape et, dans leur autoradio, il y a des cassettes de Bob Marley ou d’Alpha Blondy, première star de reggae en Afrique, dioula comme lui.
Une histoire familiale riche
Le petit Doumbia se remet à danser et il remarque que, à ce moment-là, les passants s’arrêtent pour danser avec lui. Le reggae devient sa nouvelle obsession. De retour en ville, à l’adolescence, il monte un groupe, les Djelys, enregistre des maquettes dans le studio d’un Français et le voilà lancé grâce à son style spontané qui traduit un sentiment profond d’injustice à l’égard des politiques qui ne valorisent pas son continent.
Et se nourrit aussi d’une histoire familiale riche, celle de son ancêtre guerrier Fakoly, qui a combattu au côté de Soundiata Keïta pour reprendre l’Empire mandingue. « Jusqu’à aujourd’hui, explique Tiken Jah, je n’écris pas mes chansons. Je les pose sur le papier dix minutes avant d’entrer en studio, pour ne pas retarder mes collaborateurs. Mais j’ai été élevé comme ça, en racontant des histoires, en les mémorisant et en les répétant. En Occident, vous faites la lecture des histoires le soir aux enfants ; chez nous, après le dîner, on raconte celles de notre famille ou de l’Empire mandingue. »
Pour imaginer les paroles de ses chansons, le musicien avoue toujours commencer par le refrain : « Je peux le fredonner pendant des semaines et puis, petit à petit, je rajoute des couplets. Quand je suis seul, je chante “Ils ont partagé le monde, plus rien ne m’étonne” et puis je regarde le journal télévisé, je retiens une information et j’écris un couplet. D’ailleurs, c’est ce qui m’a différencié des autres artistes. J’étais plus direct, je disais : “Allez dire aux hommes politiques qu’ils enlèvent nos noms de leurs business… Ils allument le feu, l’attisent puis viennent jouer aux pompiers.” »
Source : M Le Mag – (Le 31 mai 2024)
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