Passer trop de temps devant une télévision, un ordinateur ou un smartphone peut perturber le sommeil des jeunes, augmenter leur poids et retarder l’acquisition du langage. Les liens avec l’anxiété ou les troubles du neurodéveloppement sont plus difficiles à établir. – Décryptage –
A quel point les écrans peuvent-ils affecter la santé mentale et physique des enfants et adolescents ? Alors que la vie numérique envahit le quotidien, la question taraude et divise familles, professionnels de l’éducation et de la santé, chercheurs… et politiques, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Le 30 avril, les dix personnes d’horizons divers mandatées par le président de la République en janvier pour explorer ce sujet lui ont rendu leur rapport. Intitulé « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu », il dresse un constat inquiétant assorti de vingt-neuf propositions. Certes, ce travail, fondé sur l’analyse de la littérature scientifique et de nombreuses consultations, est loin d’être le premier à alerter sur les dangers potentiels des écrans, et à recommander d’en limiter les usages. Mais il est marquant, notamment par son tour d’horizon complet des effets sur la santé et par sa fermeté à l’égard des entreprises du numérique. « Préempter ce nouveau marché, dans lequel nos enfants sont devenus la marchandise, est le nouvel axe de développement de quelques sociétés du numérique. Nous (…) ne pouvons les laisser faire », est-il écrit en préambule.
La première des propositions est d’ailleurs de « s’attaquer, pour les interdire, aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques afin de redonner du choix aux jeunes ». Parmi leurs autres préconisations : protéger les enfants de moins de 6 ans de l’exposition aux écrans, ne pas attribuer de téléphone portable aux moins de 11 ans… Emmanuel Macron, qui avait donné un mois au gouvernement pour examiner les propositions et les traduire en actions, pourrait s’exprimer dans les prochains jours.
A l’international, les géants du numérique sont dans le collimateur. Aux Etats-Unis, Meta est notamment visé, depuis octobre 2023, par des poursuites de 40 Etats. Ils accusent ses applications Facebook et Instagram de nuire à la « santé mentale et physique de la jeunesse ». L’Europe, qui s’est dotée de deux règlements pour encadrer les marchés et les pratiques numériques (le Digital Markets Act et le Digital Services Act), multiplie aussi les initiatives pour tenter de protéger ses citoyens. La Commission européenne a ainsi annoncé, le 16 mai, l’ouverture de deux nouvelles enquêtes contre Instagram et Facebook, soupçonnés de favoriser les comportements problématiques chez les enfants et de manquer à leurs obligations de vérifier l’âge des utilisateurs.
Revenons à la science. Les effets délétères d’une exposition intensive des enfants aux écrans font consensus sur des paramètres de santé comme le sommeil ou le poids. Plus complexes à documenter, les conséquences sur les apprentissages, sur le neurodéveloppement et sur la santé mentale suscitent des débats parfois houleux quant aux liens de causalité. « Dans ce contexte, il faut appliquer le principe de précaution », assure le psychologue Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’université Paris Cité, l’un des membres du groupe.
De fait, dans ces domaines, les études se multiplient mais peuvent comporter des biais, qui limitent leur portée. De surcroît, elles sont bien souvent en partie obsolètes à peine publiées, tant les usages évoluent rapidement. Pour obtenir des données plus solides, les chercheurs soulignent l’intérêt d’études de cohorte (telle Elfe, en France), éventuellement à partir de la naissance, avec des effectifs importants, et un suivi régulier très long. Des comparaisons entre groupes exposés aux écrans et groupes non exposés sont souvent complexes à mettre en œuvre, voire quasi impossibles, pour des raisons pratiques ou éthiques.
Tour d’horizon, en six points, des effets avérés ou soupçonnés des écrans sur la santé des enfants et des adolescents.
Un sommeil plus court et moins réparateur
Les chercheurs sont unanimes : « Les écrans et les usages qui en sont fréquemment faits, en soirée ou la nuit notamment, ont des effets négatifs directs et certains sur la quantité et sur la qualité du sommeil des enfants et des adolescents », relève le rapport remis à Emmanuel Macron. De nombreuses études attestent ces liens.
En France, en 2020, les adolescents dorment en moyenne 7 heures et 45 minutes par nuit, moins de 7 heures en semaine, bien moins que les 8 à 10 heures recommandées par la National Sleep Foundation pour les 13-18 ans (de 9 à 12 heures pour les 6-12 ans). Par ailleurs, 16 % des enfants de 11 ans et 40 % de ceux de 15 ans présentent un déficit de plus de deux heures de sommeil par jour, en semaine, selon le rapport.
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