Les mots ne sortent pas de la bouche d’Amadou. Dans une chambre d’hôtel climatisée où rendez-vous lui a été donné, en plein cœur du quartier des ambassades de la capitale mauritanienne, Nouakchott, le jeune Guinéen, 19 ans, qui ne donne que son prénom comme d’autres migrants interrogés, peine à afficher autre chose que son mutisme. Sur le canapé où il est installé, il se rétracte, se met en boule, donne l’impression de vouloir disparaître.
A sa gauche, son ami Mamadou, 20 ans, lui aussi originaire de Conakry, fait le récit de leur tentative de rejoindre le Maroc depuis la Mauritanie, via le Sahara occidental – ancienne colonie espagnole contrôlée en majeure partie par le Maroc, mais revendiqué par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie –, pour y trouver un travail. C’est dans cette zone désertique, cernée par des militaires et truffée de mines antipersonnel, l’une des frontières les moins accessibles du monde, que les deux jeunes hommes ont vécu l’enfer. Ils auraient été tabassés par ce qu’ils identifient comme des policiers ou des militaires marocains, mordus par leurs chiens avant d’être abandonnés dans le désert, pieds et poings liés. « Personne ne peut vivre avec ce que l’on a vécu, confie Mamadou. J’ai eu peur de mourir. »
Violences, torture
En tout, ils sont neuf à relater la même histoire. Des officiels marocains les auraient appréhendés dès le franchissement de la frontière, gardés captifs dans un campement au milieu du désert, avant d’en abandonner certains. La plupart évoquent des violences. Certains parlent même de torture. La pratique de refoulements est en outre attestée par plusieurs associations sur place et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), d’après des documents et des témoignages obtenus par le média à but non lucratif Lighthouse Reports, qui a enquêté avec Le Monde et sept médias internationaux sur ces violations des droits humains, parfois perpétrées avec des moyens alloués par des pays de l’Union européenne.
« Les Marocains larguent les gens tout près de la frontière. J’en ai pris un en voiture en juin 2023, il était très blessé », reconnaît encore, sous le couvert de l’anonymat, un membre de la Guardia Civil espagnole, qui travaille sur place. Il assure avoir entendu parler de « très nombreuses personnes blessées par des chiens ».
« Durant notre voyage en Mauritanie [dans le cadre d’une mission parlementaire en décembre 2023], on nous a fait comprendre que les Marocains n’étaient pas tendres avec les migrants qui essaient de rentrer par le Sahara occidental », confie, de son côté, le député européen (Rassemblement national) Gilles Lebreton.
Frontière sous bonne garde
Contactées, les autorités mauritaniennes assurent ne pas avoir connaissance de telles pratiques. « Ces allégations de violence ou de mauvais traitements sont totalement infondées », assure, de son côté, le ministère de l’intérieur marocain. Ni le HCR ni l’Organisation internationale pour les migrations n’ont répondu à nos sollicitations.
Le voyage de Mamadou et d’Amadou commence en mars 2023. Les deux jeunes, qui se sont rencontrés en Mauritanie, se mettent en tête de rejoindre le Maroc. « Beaucoup de migrants essaient d’aller là-bas pour prendre un bateau pour les Canaries plutôt que de traverser depuis la Mauritanie. D’autres y vont juste pour trouver du travail », rapporte le frère Arthur Kalonda, de l’Association d’aide aux migrants Daniel-Brottier. « En ce moment, il y a beaucoup de gens qui arrivent à Dakhla [l’une des principales villes du Sahara occidental, au sud du Maroc], ajoute le président d’une association de soutien aux migrants, qui préfère garder l’anonymat. Certains ont marché pendant une semaine dans le désert. »
Après une halte à Nouadhibou, une ville côtière accolée au Sahara occidental, Mamadou et Amadou, accompagnés de deux autres Guinéens, décident de marcher le long de la frontière, au milieu du désert. Conséquence de la guerre qui oppose toujours les indépendantistes sahraouis du Front Polisario aux forces marocaines, la frontière est sous bonne garde. Un grillage, surmonté de barbelés, délimite le territoire des deux Etats. « Nous avons dépassé un poste-frontière et nous sommes passés par un trou que d’autres avaient fait dans le grillage avant nous », se souvient Mamadou.
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