Gaston Kelman ressuscite la figure de Ruben Um Nyobé, leader de la lutte pour l’indépendance du Cameroun

LE LIVRE DE LA SEMAINE. Dans sa pièce de théâtre « L’Immortel de Boumnyebel », l’écrivain jette des ponts entre le passé et le présent pour permettre aux générations actuelles de se relier aux héros de la guerre de libération.

Le Monde– Comment combler la distance entre mémoire officielle et mémoire collective lorsqu’un silence institutionnel dilue dans l’oubli des événements historiques pourtant avérés et connus de tous ? En réponse à cette question – et pour le cas du Cameroun –, l’écrivain Gaston Kelman propose une œuvre théâtrale, L’Immortel de Boumnyebel, Dialogue d’outre vie, consacrée au grand leader de la lutte pour l’indépendance : Ruben Um Nyobé (1913-1958).

On notera d’abord cet « outre vie » – et non « outre-tombe » – dont il est question à propos de celui qui, après des mois de lutte pacifique d’abord, armée ensuite, fut tué par le pouvoir colonial français près de la localité de Boumnyebel. Avec ce sous-titre, l’enjeu du texte est annoncé : il s’agira moins de dessiner la biographie d’Um Nyobé que de réfléchir à la trace qu’il a laissée parmi la population camerounaise, ainsi qu’à l’inspiration que son militantisme suscite encore dans le contexte actuel, plus de soixante-cinq ans après sa disparition.

On notera également l’idée contenue dans le graphisme de couverture – certes assez malheureux – de l’ouvrage, représentation d’un visage défiguré, comme le fut celui d’Um Nyobé après que son corps eut été traîné au sol sur des kilomètres par ses meurtriers, qui voulaient marquer symboliquement l’anéantissement de son image.

Grandiloquence

 

Par la grâce de la fiction théâtrale, le « Mpodol » (« porte-parole », en langue bassa) revient donc d’entre les morts, en personnage fantôme hantant la conscience collective. Il est d’abord annoncé par un narrateur récitant, qui dresse son portrait : « Cet homme, Um était son nom, fils de Nyobé […] / Il usa de tous les recours pacifiques / Il traça dans la clandestinité la piste des étoiles / Jusqu’à l’avènement proche du grand soir […] / Ruben Um Nyobé, le Mpodol pour son peuple / Et pour tous les enfants de son pays naissant / Il sera la légende pour les siècles sans fin. » Avec de tels vers à la grandiloquence de griot, Gaston Kelman attribue d’emblée une aura de héros à Um Nyobé.

Car il s’agit bien ici de rappeler la bravoure de celui qui passa d’ancien syndicaliste épris de justice et de paix à leader d’une vaste communauté de résistants anticoloniaux. Um Nyobé et ses pairs pensaient qu’après l’aide apportée à l’Europe pour se libérer de l’Allemagne nazie, l’Afrique pouvait prétendre à son tour à l’émancipation, autrement dit à l’indépendance. « Qu’ai-je donc demandé qui ne nous soit pas dû, qui ne soit pas légitime ou même qui soit exagéré ? A la tribune de l’ONU, dans la presse, dans les rencontres, j’ai demandé un droit reconnu par l’ONU : celui des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

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L’Immortel de Boumnyebel, Dialogue d’outre vie,de Gaston Kelman, éd. Proximité (Yaoundé), 180 pages.

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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