Gaza – « On meurt sous les mêmes bombes qui ont tué les humanitaires de WCK »

Orient XXIRami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Jeudi 5 avril 2024.

Mardi, j’ai passé toute la journée au terminal de Rafah qui relie la bande de Gaza avec l’Égypte. Il est divisé en deux, un côté palestinien et un côté égyptien. Du côté palestinien, il y a la police du Hamas qui fait le contrôle et qui fait régner un peu d’ordre pour faire passer les gens vers l’Égypte. J’étais là avec un ami qui voulait quitter Gaza parce qu’il n’en pouvait plus, parce qu’il avait peur de la machine de guerre israélienne. Il a tout à fait raison, vu ce qui se passe ici et surtout vu le risque d’incursion terrestre à Rafah. Tout le monde sait ce que ça veut dire, une incursion terrestre. Déjà qu’on est pilonné par les bombes ; là ce serait un tremblement de terre qui réduirait à néant toute la ville de Rafah, comme ils l’ont fait au nord avec Gaza ville, et avec les massacres et les boucheries qui ne s’arrêtent pas.

Je vais juste vous expliquer comment ça marche. Ce n’est pas comme en Europe où les frontières sont ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, où on peut passer facilement d’un pays à l’autre, où c’est un simple panneau qui vous indique que vous avez changé de pays.

« Avant la guerre, c’était 1 200 dollars pour l’Égypte »

Ici, c’est beaucoup plus compliqué parce qu’on est dans une prison à ciel ouvert qui a deux terminaux pour en sortir : un au nord qui s’appelle Erez, et relie Gaza à Israël ; et le terminal de Rafah au sud, qui donne accès à l’Égypte. Déjà, avant la guerre, c’était très difficile de quitter Gaza. Il fallait justifier d’un transfert médical, ou avoir un passeport étranger, auquel cas, on pouvait se rendre en Égypte. Si on avait un visa pour un pays européen par exemple, on allait directement à l’aéroport du Caire. Sinon on passait par la « coordination ». C’est un système inventé par les Égyptiens, une sorte d’agence de voyage qui s’appelle Ya Hala Bienvenue » en arabe).

Avant la guerre, on payait à peu près 1 200 dollars par personne pour ce qu’on appelait à l’époque un « VIP ». On s’inscrivait directement auprès des représentants à Gaza de cette agence, et deux jours après on montait dans un bus privé qui vous emmenait au terminal égyptien. Ensuite, une voiture vous emmenait directement au Caire.

Maintenant, cela a changé. Pour sortir, il y a plusieurs types de listes. D’abord, celle des détenteurs de passeports étrangers ou des amis de ces pays, ou des gens qui ont travaillé pour eux. Le ministère des affaires étrangères de chaque pays envoie les noms au Cogat (Coordination Of Government activities in the Territories) israélien, qui délivre ou non l’autorisation de sortie du territoire. Par exemple la France a pu faire sortir la majorité des Palestiniens qui avaient aussi la nationalité française, et ceux qui qui travaillaient pour l’Institut français de Gaza1.

Pour obtenir l’accord des autorités israéliennes, il faut des semaines, parfois des mois. Vous avez tous entendu parler d’Ahmed Abou Shamla, un responsable de l’Institut français qui devait partir avec sa famille. Mais les Israéliens n’ont donné l’autorisation que pour Ahmed, sa femme et les plus jeunes de ses quatre enfants, pas pour les deux aînés. Il est donc resté avec eux. Malheureusement, il est mort dans le bombardement de la maison où il s’était réfugié à Rafah. Comme par hasard, deux jours plus tard, les Israéliens ont donné leur accord…

« les Israéliens laissent les Égyptiens faire leur petit business »

La deuxième liste pour sortir, c’est celle des Palestiniens qui ont la nationalité égyptienne et qui est envoyé directement à l’Égypte sans passer par le Cogat et des noms sortent presque tous les jours.

La troisième liste, c’est celle des blessés. Il y en a dans les 70 000, et la majorité d’entre eux ont besoin d’un traitement à l’étranger parce qu’il n’y a plus de système de santé à Gaza à cause des bombardements des hôpitaux, surtout à Gaza ville où l’hôpital Al-Shifa n’est plus qu’une carcasse. Beaucoup de blessés qui auraient pu être sauvés meurent.

Le Croissant rouge envoie les noms, mais là aussi, ce sont les Israéliens qui décident, et au compte-goutte : ils ne donnent qu’une trentaine d’autorisations par jour.

La quatrième liste est la plus importante, c’est la liste payante. Là non plus, pas besoin de l’accord du Cogat : les Israéliens laissent les Égyptiens faire leur petit business, de même que le loisir de faire eux-mêmes le tri. Sauf que maintenant, ce n’est plus 1 200, mais 5 000 dollars par personne. Oui, 5 000 dollars pour sortir de l’enfer. Pour les moins de seize ans, on parle de 2 500 dollars. Donc une petite famille – qui se composerait selon les critères de Gaza de deux parents et de trois enfants -, doit payer au moins 20 000 dollars. Il y a beaucoup d’inscrits auprès de l’agence égyptienne. Entre 250 et 300 personnes sortent chaque jour par ce moyen. Autrement dit, il y a à peu près 1 million de dollars qui sort par jour de Gaza.

Lire la suite

Rami Abou Jamous

Journaliste palestinien à Gaza.

Source : Orient XXI

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page