
le rapport de la commission Duclert sur son rôle avant et pendant le génocide des Tutsi au Rwanda (un million de morts en trois mois, du 7 avril au 17 juillet 1994) : oui, écrivaient les historiens dans leur conclusion, la France s’est « longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes » ; au total, « la recherche établit (…) un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes ».
– La France, pendant des années, s’est occupée de la France. Puis, le débat a été tranché, en mars 2021, parCette mise au point était salutaire. Le débat qui l’a précédée ne saurait donc être tenu pour vain, quand bien même il a été parasité, pendant trois décennies, par les manipulations d’hommes politiques ou de journalistes attachés à préserver, au choix, l’honneur de la France, celui de François Mitterrand, qui achevait alors son second mandat, ou le leur. Ils le faisaient contre l’évidence historique. Celle-ci a été formellement établie.
Il est donc enfin possible de passer à l’étape suivante. De concentrer l’attention publique, loin de ces remugles, sur le plus important : le travail mené depuis des années par les journalistes, les écrivains, les intellectuels, de Jean Hatzfeld à Gaël Faye, de Jean-Pierre Chrétien à Vincent Duclert, Stéphane Audoin-Rouzeau ou Hélène Dumas, pour s’en tenir à quelques Français notables. Mais aussi sur les jeunes chercheurs qui s’inscrivent dans leur sillage, telle l’anthropologue et documentariste Violaine Baraduc, dont paraît le premier livre, Tout les oblige à mourir, éprouvante et importante enquête sur les infanticides commis lors du génocide par des mères hutu sur leurs enfants nés de pères tutsi.
C’est à cela que peut servir ce 30e anniversaire : marquer, une fois purgée la mémoire française, le moment du retour à la chose même, au crime, à sa réalité concrète, aux victimes, aux responsables, à la confrontation intellectuelle et sensible avec cette réitération, au cœur de la nature humaine, du paroxysme de l’inhumanité. Une confrontation que Violaine Baraduc porte à son épure, tant son sujet relève du plus inacceptable de ce que l’inacceptable a engendré. « L’infanticide, note-t-elle, pourrait être vu comme l’épicentre du phénomène génocidaire : à la fois le point par lequel la violence se lit, et celui où elle est ressentie le plus violemment. »
La mécanique est connue
Son livre déplie cette intuition de départ dans toutes ses dimensions, à travers les histoires de deux mères infanticides, l’une d’intention, ses enfants ayant échappé à sa tentative de meurtre, l’autre de fait, l’une et l’autre à la fois partie prenante de la logique génocidaire et objet de cette logique, dans une soumission qui est un des sujets principaux du livre : comment le fait de se soumettre, ici, en première instance, à sa famille, peut-il mener jusqu’à ce degré d’horreur ?
Le phénomène de l’infanticide génocidaire au Rwanda n’a donné lieu jusque-là à aucune étude systématique. On ignore son ampleur, aucune statistique n’ayant été établie. Mais la mécanique est connue. Il y avait au Rwanda, en 1994, de nombreux couples « mixtes », unissant Hutu et Tutsi. Or, l’appartenance ethnique se transmettait par le père. De sorte qu’une mère hutu pouvait avoir des enfants tutsi. Ce sont certaines de ces mères-là qui ont assassiné ou tenté d’assassiner leurs enfants.
Ainsi de Patricie Mukamana, qui a donné de la mort-aux-rats à deux de ses quatre filles, âgées d’environ 4 et 6 ans, faits qu’elle n’a avoués qu’en 2014, après une condamnation à quinze ans de détention. Et de Béata Nyirankoko, condamnée, elle, à trente ans, bien qu’elle ait renoncé à la dernière minute à tuer ses deux fils de 5 et 12 ans, après avoir voulu les noyer. Puis, elle les a abandonnés, les prétendant morts, et ensuite n’a jamais voulu renouer avec eux.
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