La réussite sociale des Latinos d’origine arabe, mythe ou réalité ?

En une génération, les immigrants d’origine arabe sont passés de commerçants et colporteurs à diplômés des meilleures universités et grandes écoles d’Amérique du Sud. Une ascension socioéconomique fulgurante opérée au prix de nombreux sacrifices.

Jeune Afrique – « Se savoir “Turco”, c’était se savoir éventuellement exposé au rejet de ses compatriotes d’adoption, incité à la discrétion et à se fondre dans le rang », écrit Alain Roussillon, universitaire spécialiste du monde arabo-musulman dans Diasporas arabes en Amérique latine : de l’invisibilité à l’effervescence identitaire. Pour ce faire, les Arabes immigrés en Amérique latine ont gommé petit à petit ce qui les différenciait des « Latinos » descendants d’Européens.

Ils ont donc abandonné l’usage de la langue arabe, notamment en ne la transmettant pas à leurs enfants. Mais aussi leur religion : certains ont rompu avec l’islam, d’autres – la majorité – ont délaissé les variantes orientales du christianisme pour se convertir au catholicisme. De nombreux primo-arrivants ont épousé des chrétiennes autochtones, et ce « mélange » de courants religieux a produit de fait des individus « religieusement indifférents, voire laïcisés », selon Alain Roussillon.

Et puis beaucoup ont hispanisé leurs prénoms. Cette mutation semble s’être opérée dans les années 1930 et 1940, de l’Argentine jusqu’au Mexique, « quand s’aiguisaient les nationalismes », souligne Lamia Oualalou, journaliste et spécialiste de l’Amérique latine. Le seul élément arabe qu’ils n’ont jamais abandonné n’est autre que la cuisine traditionnelle des pays du Levant, qui rassemble odeurs, saveurs, art de vivre et transmission des savoirs. À tel point que tous les Latinos sont intimement convaincus aujourd’hui que le kebbé, les falafels ou le houmous sont typiquement argentins, brésiliens ou encore colombiens. Et pourtant, quelques décennies plus tôt, les enfants arabes étaient harcelés et parfois forcés à « brouter » de l’herbe à l’école parce qu’ils mangeaient des crudités (ce qui n’existait pas sur place à l’époque).

De colporteur à diplômé du supérieur en une génération

« Le plus remarquable est que, en une génération à peine, le saut entre l’activité de colporteur et l’obtention d’un diplôme supérieur fut réalisé”, écrit Oswaldo Truzzi, dans Libanais et Syriens au Brésil. Le commerce permet aux primo-arrivants d’accéder à une certaine autonomie économique et d’intégrer les classes moyennes. Ils s’assurent alors que leurs enfants aillent à l’école, reçoivent une éducation, et que leurs efforts d’intégration socioéconomique portent leurs fruits. Et c’est ainsi que la deuxième génération, née sur le continent, hispanophone, intègre l’université et les plus grandes écoles d’Amérique latine.

Moises Azize, fondateur du Patronat syro-libanais, en 1928, a été l'intercesseur entre la communauté syro-libanaise et le gouvernement argentin. Il a également été l'un des artisans de la création de la Banque syro-libanaise en 1924. Sur cette photo, on le voit inaugurer le Club Honor y Patria. © Archives générales de la nation argentine
Moises Azize, fondateur du Patronat syro-libanais, en 1928, a été l’intercesseur entre la communauté syro-libanaise et le gouvernement argentin. Il a également été l’un des artisans de la création de la Banque syro-libanaise en 1924. Sur cette photo, on le voit inaugurer le Club Honor y Patria. © Archives générales de la nation argentine

« La rapidité de l’ascension économique a rendu possible l’envoi des enfants d’immigrés dans des écoles de haut niveau. La réussite commerciale de leurs parents leur a permis de s’intégrer dans le secteur des professions libérales, en pleine formation dans les années trente. Certes, toute la communauté ne bénéficie pas de cette possibilité, mais certains surent mieux profiter que d’autres de cette opportunité. Plusieurs immigrants ne voulaient pas que leurs enfants connaissent les difficultés d’une activité dont le début avait été si dur, et les voir avec un diplôme d’enseignement supérieur représentait une compensation à une vie de sacrifices », abonde Oswaldo Truzzi.

À São Paulo, au Brésil, à partir des années 1930, un nombre important de Syriens et de Libanais intègrent la Faculté de droit ou de médecine et l’École polytechnique. Dans les années 1920, certains migrants sont arrivés avec une formation en médecine de l’Université américaine de Beyrouth, agrémentée d’internats en Europe ou aux États-Unis. Ils ont donc pu exercer sur place et ont créé, en 1922 à São Paulo, l’Association des anciens élèves de l’Université américaine de Beyrouth. Leurs descendants ont majoritairement opté pour la médecine et bénéficié du transfert d’expérience et de clientèle de leurs aînés.

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Nina Kozlowski

Source : Jeune Afrique

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