Paulin Hountondji, le philosophe «libérateur d’avenir»

RFI  – Les funérailles du philosophe Paulin Hountondji ont lieu ce 2 mars 2024 au Bénin, un mois après son décès. Figure majeure de la philosophie en Afrique, Hountondji a été un défricheur. Dans un texte fondateur, Sur la « philosophie africaine », critique de l’ethnophilosophie, il a refusé l’enfermement de la philosophie africaine dans un ghetto culturel et l’a placée sur un pied d’égalité avec les autres philosophies du monde. Il a également réfléchi à la réappropriation de ce qu’il appelle les « savoirs endogènes », c’est-à-dire des savoirs issus des traditions africaines.

 

Paris, rue d’Ulm, 1970. On imagine aisément ce jeune philosophe dahoméen – son pays d’origine n’a pas encore pris le nom de Bénin – penché sur des ouvrages en bibliothèque de l’École normale supérieure, prestigieux établissement français d’enseignement. Lire les plus grands noms de la philosophie. Et s’interroger sur la place des Africains dans cet ensemble de grandes voix. Les dernières lignes d’un essai que le jeune homme de 28 ans publie cette année-là en disent long sur son état d’esprit.

Paulin Hountondji revient dans ce texte sur l’œuvre d’Antoine-Guillaume Amo, philosophe africain né dans les premières années du 18e siècle dans le futur Ghana, mais qui brillera dans les universités allemandes. « Ce que nous regrettons, explique alors Hountondji, c’est l’appartenance exclusive de cette œuvre, tant par ses références que par le public auquel elle se destine, à l’histoire scientifique de l’Occident. Solitude douloureuse : Amo — est-il besoin de le dire ? — n’en est pas responsable. »

Pour Paulin Hountondji, il faut méditer les leçons de cette histoire et « créer progressivement, dans nos propres pays, ces structures de dialogue et de controverse sans lesquelles aucune science n’est possible ».

Alors qu’il présente les idées d’Amo et les regrets que lui inspirent son parcours, le jeune philosophe formule l’une des revendications qui traversera par la suite son œuvre : le droit des penseurs africains à ne pas être enfermés dans la « métaphysique nègre » ou la « sagesse africaine ». La liberté de pouvoir penser de manière globale. « Exiger d’un penseur qu’il se contente de réaffirmer les croyances de son peuple ou de son groupe social, écrit-il, c’est lui interdire de penser librement et le condamner, à terme, à l’asphyxie intellectuelle. »Il y a là sans doute, même, « un secret mépris du penseur non occidental, à qui on interdit subtilement toute prétention à l’universel, c’est-à-dire à la vérité, lui refusant le droit à une authentique recherche, et attendant seulement de lui qu’il manifeste, à travers ses dires, la particularité d’une culture ».

Le refus du ghetto culturel

 

Dès ses études à l’Ecole normale supérieure, Hountondji incarne un modèle inverse. Il pense à l’échelle du monde et avec les grands philosophes de son époque. Sa thèse de 3e cycle, dirigée par le philosophe français Paul Ricoeur, interroge les travaux d’un autre philosophe, Edmund Husserl sur la science. Lors de la soutenance en juin 1970 à Nanterre, le normalien fait face, dans le jury, à deux grands noms de la philosophie : Emmanuel Levinas et Suzanne Bachelard. Pour autant, il ne publie pas : les limites de l’aventure intellectuelle extra-africaine d’Amo continuent à le hanter. « Je crois que je me suis très vite posé une question, confiera-t-il plus tard, celle du public auquel j’aurais droit. Je répugnais, autant par tempérament que par principe, à n’écrire que pour un public étranger, par-dessus les épaules de mes compatriotes. »

Le jeune philosophe décide de marquer une pause dans ses travaux sur Husserl, de « travailler sur les marges et, plutôt que de foncer tête baissée en spécialiste d’un auteur ou d’un courant de pensée, baliser patiemment le terrain, établir la légitimité et les contours d’un projet intellectuel qui fut à la fois authentiquement africain et authentiquement philosophique. » [1] Ce balisage, ce sera la Critique de l’ethnophilosophie.

L’ouvrage n’a pas été écrit d’une traite. Les idées qu’il développe ont pris corps au fil de rencontres et de colloques, les textes se sont imbriqués progressivement. Deux étapes au moins méritent d’être retenues : en 1967, Hountondji est invité, grâce à Alioune Diop, le fondateur de la maison d’édition Présence Africaine, à un colloque qui a lieu à Copenhague sur le thème « Humanisme africain-culture scandinave ». Il y présente une communication intitulée « Sagesse africaine et philosophie moderne ». Les éléments essentiels de sa future critique de l’ethnophilosophie sont déjà en place. Il utilise par ailleurs le terme d’« ethnophilosophie » pour la première fois dans un article de la revue de philosophie Diogène en 1970.

Sur la ‘philosophie africaine’, critique de l’ethnophilosophie est publié toute fin 1976. Son ambition : rompre avec des auteurs qui, à la suite du prêtre belge Placide Tempels, ont tenté de délimiter le domaine de la philosophie africaine en le bornant à une forme de sagesse populaire. Selon ces auteurs, la philosophie africaine est une pensée collective qui modèle l’individu et non la pensée critique de sujets pensants.

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Laurent Correau

Source : RFI – (Le 02 mars 2024)

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