Maroc-Mauritanie, une histoire de brouilles et de réconciliations

Depuis le début de 2024, le ton monte entre Rabat et Nouakchott. Le prétexte ? La forte hausse des taxes douanières à la frontière. Des accès de fièvre récurrents, héritage d’un très ancien passé commun.

Jeune Afrique – Fin 2023-début 2024 : les relations entre la République islamique de Mauritanie et le royaume du Maroc font la une de la presse marocaine. Hausse vertigineuse des taxes douanières pour les camions marocains qui passent par la Mauritanie, un niveau de tension nécessitant deux rencontres entre les ministres des Affaires étrangères en moins de un mois, ou encore l’accueil glacial, par Nouakchott, de la proposition de s’ouvrir sur l’Atlantique que Rabat a faite aux pays du Sahel… Depuis quelque temps, les sujets de friction se multiplient. Mais doit-on s’en étonner ? En réalité, depuis l’indépendance de la Mauritanie, en 1960, les deux voisins n’ont cessé de se fâcher et de se réconcilier.

Règne des Almoravides

Pour saisir la complexité de cette relation, il est, comme souvent, utile de se replonger dans l’Histoire. Et notamment dans la monumentale Histoire de l’Afrique du Nord (1951), de Charles-André Julien : « Antérieurement au IVe siècle, s’était formée dans le Maroc septentrional une importante fédération de tribus, le royaume des Maures ou Mauritanie, limité, au Sud, par le pays des Gétules, qui bordait aussi les confins méridionaux des royaumes des Masaesyles et des Massyles du territoire punique, et, à l’Est, par la Mulucha (Moulouya) inférieure. »

C’est sur ces bases, que l’on pourrait qualifier d’ « ethniques », que se constituera, bien plus tard, la République de Mauritanie. Mais, au cours des siècles précédents et jusqu’au début de la colonisation française, point de différence entre les deux États, comme en témoigne le règne des Almoravides. Cette célèbre lignée descend de l’importante tribu saharienne des Sanhadja, originaire du plateau d’Al-Adrar, en Mauritanie – à ne pas confondre avec la région éponyme, en Algérie.

Or, dans l’historiographie enseignée dans toutes les écoles du royaume – et retenue par la plupart des historiens marocanisants –, les Almoravides sont une dynastie marocaine, la seconde, après les Idrissides, dans l’ordre de succession. Les Almoravides règneront de 1054 à 1147 sur un empire qui comprend dans l’ensemble le Maroc actuel, la Mauritanie, une partie de l’Algérie et l’Andalousie. Ils auront pour capitale Marrakech, fondée en 1062 par Yousef Ibn Tachfine, le plus célèbre des Almoravides dans la mémoire collective des Marocains.

Avec l’expansion sahélo-saharienne du Maroc, au XVIIe siècle, sous le règne des Saadiens, la Mauritanie fait partie intégrante du territoire chérifien, comme le confirme la politique centralisatrice de Moulay Ismaël, vers la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècles. L’historien Bernard Lugan ne dit rien d’autre lorsqu’il insiste sur le fait que « la politique extérieure de Moulay Ismaël fut également très active en direction du Sud, c’est-à-dire du Bilad al-Sudan [« le pays des noirs »] » et que, « sous son règne, l’actuelle Mauritanie devint de fait un protectorat marocain ».

Protectorat marocain sur « le pays des Maures »

Ainsi, dans les années 1720, des contingents de l’armée chérifienne sont présents en Mauritanie, et plus précisément dans la région du Trarza, qui fait aujourd’hui partie du nord du Sénégal. À cette époque, les Français explorent la rive gauche du fleuve Sénégal. La Compagnie royale du Sénégal s’est installée au fort Saint-Joseph de Galam aux alentours de 1699. Cette présence s’inscrit dans le cadre, plus large, d’une compétition européenne, notamment pour le commerce de la gomme. Le 29 juillet 1717, Ali Sandura, l’émir du Trarza, signe un traité avec les Français tout en continuant à négocier avec les Hollandais.

Cependant, l’hostilité des tribus Brakna et Waalo (nord du Sénégal) entravent les ambitions de l’émirat. Aussi, à la tête d’une délégation formée de membres de sa cour, l’émir se dirige-t-il vers Meknès pour demander de l’aide à Moulay Ismaël. Le souverain chérifien lui prête une oreille attentive et confie à Ali Sandura une mehalla (corps expéditionnaire), qui lui permet, en 1721, de passer au fil de l’épée les Braknas et les Waalos.

Selon Bernard Lugan, cette mehalla permet également de chasser les Français de leur place forte. En échange, le sultan du Maroc nomme un gouverneur marocain à Chinguetti. Les Maures du Trarza considèrent désormais Moulay Ismaël comme leur chérif.

L’arrivée des Français en Afrique du Nord, et, surtout, leur poussée vers le Sahara  change durablement la donne au cours des premières années du XXe siècle. En 1905, les événements se précipitent lorsque Paris veut imposer un protectorat aux émirs de Trarza et de Brakna. L’état-major français monte de nombreuses expéditions dans le Sahara central et dans le Sahara occidental.

Coppolani dans un guet-apens

La plus célèbre demeure celle de l’anthropologue Xavier Coppolani. Ce dernier « vint d’Alger pour inaugurer la politique de pénétration pacifique, qui consist[ait] à entrer en contact direct avec des chefs de tribus et de confréries religieuses pour les gagner à l’influence française », rappelle l’historien Abdallah Laroui. Tombé dans un guet-apens, il est assassiné, au printemps 1905, avec toute son escorte.

Avant cela, Coppolani avait, dès 1899, présenté un plan de conquête du Sahara afin de prendre le Maroc à revers. La France, insistait-il, devait mettre sur pied une « Mauritanie occidentale » et y fédérer les tribus maures de la région. Dans cette configuration, Ma el-Aïnin, le cheikh de Seguia el-Hamra pouvait jouer un rôle déterminant dans le Sahara atlantique.

Mais ce dernier voit d’un très mauvais œil le ralliement de nombre de tribus à Coppolani. Et passe à l’action. « L’enquête ouverte révèle que […] Cheikh Ma el-Aïnin, en tant que chef de toutes les confréries, peut être considéré comme l’inspirateur des assassins. La disparition de Coppolani lui est directement utile, car, pour lui, le danger le plus immédiat est conjuré : les Français ne s’aventureront pas dans l’Adrar, et quitteront peut-être même le Tagant », explique l’historienne Geneviève Désiré-Vuillemin.

Âpres débats devant l’ONU

Le cheikh a vu juste. La pénétration française en Mauritanie subit un coup d’arrêt avec le meurtre de Coppolani. En attendant, Ma el-Aïnin, puis ses fils Al Hiba et, plus tard, Merrabi-Rebo, continueront à faire le coup de feu contre les Français dans le sud du Maroc et à se replier en terre maure, et ce jusqu’en 1933, soit vingt-et-un ans après l’établissement du protectorat de la France sur le Maroc.

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Farid Bahri

Source : Jeune Afrique

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