L’Europe a encore trop besoin de l’OTAN pour se défendre

Une défense européenne indépendante, c'est une bonne idée –mais pour l'instant, ce n'est pas réaliste.

Slate – Craignant que Donald Trump ne retire son pays de l’OTAN s’il est réélu et inquiets de voir que le Congrès américain est à deux doigts de fermer les vannes de l’aide militaire à l’Ukraine, de nombreux Européens évoquent la possibilité de bâtir leur propre force de défense indépendante pour dissuader et, si besoin, repousser une Russie aux aspirations expansionnistes.

Mais voilà le problème : c’est une tâche impossible. Dans les prochaines années en tout cas, pour être protégée, l’Europe aura besoin de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, une alliance qui doit être dirigée par les États-Unis.

Rien sans l’Amérique

Les trente pays membres de l’OTAN (en plus de leurs partenaires transatlantiques, les États-Unis et le Canada) ont augmenté leurs dépenses de défense en 2014, lorsque le président russe Vladimir Poutine a annexé la Crimée, et plus encore à partir de 2022 lorsqu’il a envahi l’Ukraine. Si seulement trois de ces pays ont tenu leur engagement de consacrer au moins 2% de leur PIB à la défense, cette année, dix-huit d’entre eux sont sur le point d’atteindre ou de dépasser cet objectif.

Mais qu’on le mesure en dollars ou en euros, sans la contribution de l’Amérique c’est loin d’être suffisant. Des 1.300 milliards de dollars (1.202 milliards d’euros) au total que les trente-deux pays de l’OTAN consacrent à la défense, plus de la moitié (860 milliards de dollars, soit 795 milliards d’euros) est dépensée par les États-Unis.

Certes, l’armée américaine a des missions mondiales, donc une grande partie de cet argent est affectée à des missions de défense en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, etc. Mais cette armée est également un réseau; navires, avions, troupes et tutti quanti, déployés d’ordinaire dans une région particulière, pourraient être réaffectés à une région différente.

Théoriquement, l’intégralité de ce budget pourrait profiter à l’Europe. Imaginons que la moitié seulement lui soit dévolue en priorité (cela comprendrait les immenses bases militaires très chères présentes dans toute l’Europe). Cette somme, 430 milliards de dollars (397,5 milliards d’euros), représente plus que ce que dépensent la douzaine des autres plus gros payeurs de l’OTAN réunis.

O comme organisation

Jana Puglierin, directrice du bureau berlinois du Conseil européen des relations internationales, m’a récemment dit par mail: «Bâtir une force de défense européenne indépendante prendrait dix à quinze ans (si nous commencions maintenant et que nous nous y consacrions tous) et ça coûterait les yeux de la tête (plus que les fameux 2%).»

Elle a ajouté : «J’ai du mal à concevoir comment [cette force de défense indépendante] pourrait être organisée.»

Cette question de l’organisation –le O dans OTAN– est au moins aussi cruciale et aussi compliquée que celle de l’argent. Si elle n’était pas formellement et explicitement dirigée par les États-Unis, l’OTAN serait un rassemblement désorganisé de pays, pas une alliance unifiée. Le chef militaire de l’OTAN, appelé Commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur) est, en vertu de la charte (et sans la moindre objection de la part des membres de l’organisation), un officier général des États-Unis.

Selon le site de l’OTAN, le Saceur «est responsable […] devant le Comité militaire de la conduite de l’ensemble des opérations de l’Alliance». Ce qui implique d’organiser ces opérations, d’analyser ce qu’elles nécessitent, d’identifier les forces nécessaires pour les conduire, de requérir ces forces auprès des autorités politiques et militaires des nations de l’OTAN, de gérer toutes les ressources ainsi obtenues, de s’occuper des installations d’entraînement, d’avoir un accès régulier à tous les chefs militaires, de servir de porte-parole de l’OTAN –et, en cas de conflit, de diriger tout l’effort de guerre dans le cadre d’une campagne visant à «préserver ou rétablir la sécurité du territoire des pays de l’Alliance».

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Fred Kaplan — Traduit par Bérengère Viennot — Édité par Thomas Messias

Source : Slate (France)

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