Mayotte : ambiguïtés et non-dits d’une situation (post)coloniale

The Conversation À Mayotte, dimanche 11 février 2024, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a promis de supprimer le droit du sol par le biais d’une réforme constitutionnelle. Cette déclaration fait suite à plusieurs mesures et événements en lien avec l’immigration clandestine et l’insécurité qui minent ce département français. L’annonce sur le droit du sol a suscité un fort émoi en France métropolitaine et parmi les associations, qui accusent le ministre de défendre un programme d’extrême-droite.

 

Mayotte fait partie d’un archipel uni par des traits culturels, une langue, une religion (l’islam) et une histoire en commun, mais coupé en deux par une frontière du fait qu’elle est restée française, puis devenue département, et région européenne « ultra-périphérique ». Les trois autres îles forment l’Union des Comores, un pays indépendant qui revendique Mayotte comme partie de son territoire national.

Pourquoi Mayotte est-elle française dans un archipel qui ne l’est plus ? Comment peut-elle compter près de 50 % de migrants « étrangers », en réalité comoriens à 90 % et que fuient ces derniers ? Comment un département français peut-il, malgré ses ressources, présenter le tableau social et sécuritaire décrit ?

Mayotte, comorienne ou non ?

 

C’est pour des raisons géostratégiques que Mayotte (374 km2, 300 000 habitants) est devenue française en 1841, raisons qui ont évolué aux XXe et XXIe siècles mais restent des non-dits de la situation actuelle. La région est notamment un centre d’écoute et de surveillance du canal du Mozambique et une zone économique de 2,5 millions de km2 au sein d’une zone maritime sous juridiction française de 17 millions de km2.

Les trois autres îles, qui formaient des royaumes séparés, sont colonisées en 1912. Mayotte en reste le chef-lieu, mais la Grande Comore et Anjouan, plus grandes, plus peuplées, aux élites sociales, politiques et économiques plus structurées, reprendront leur place dominante avec l’autonomie interne de l’archipel (1961).

L’administration est transférée vers la Grande Comore en 1958, ce qui prive Mayotte des emplois publics occupés par des notables des quatre îles qui étaient mariés sur place pour avoir, dans ce régime matrilocal, une vie domestique et familiale.

L’indépendance des Comores se prépare dans les années 1970, après celle de Madagascar en 1960. Mais la population principalement rurale de Mayotte craint la domination de l’élite urbaine des îles voisines. Or, un groupe social spécifique à Mayotte n’a pas non plus intérêt à l’indépendance et crée un mouvement pour « Mayotte française » : il s’agit des descendants de femmes de Sainte-Marie de Madagascar, île passée sous autorité française en 1750, et de métropolitains ou créoles, qui à Mayotte sont devenus les premiers fonctionnaires coloniaux puis les élus locaux. Une partie de la population menée par les femmes, comme l’a montré l’anthropologue Mamaye Idriss, se rallie à leur projet.

Réferendums et assimilation

 

Il s’en est fallu de peu, au niveau du gouvernement français, pour que le référendum de 1974 soit adressé, non « aux populations » mais « à la population » des Comores. C’est le compte par île qui est retenu et 63,22 % des électeurs mahorais votent contre l’indépendance. Moins de deux ans plus tard, un deuxième référendum confirme à 98,83 % la réponse, les indépendantistes ayant été réduits au silence par des violences ou des menaces. Depuis, aucune critique ou réserve n’est possible à l’égard de la départementalisation sous peine d’être accusé de collusion avec « l’ennemi » comorien qui voudrait dominer Mayotte, tandis qu’en Union des Comores, la revendication de Mayotte est au contraire un préalable obligatoire à toute déclaration publique.

Un homme passe devant un palmier au coucher du soleil à Mtsangadoua sur l’île française de Mayotte dans l’océan Indien, le 28 mai 2023
En 2009, le statut de département d’outre-mer est accepté par référendum à 95,2 % par les Mahorais (61,37 % de votants) qui attendent toujours de meilleures conditions de vie tandis que crises politiques et économiques se succèdent aux Comores. Philippe Lopez/AFP

La relative richesse de Mayotte attire différents profils de migrants issus des Comores, mais le gouvernement français instaure, en 1995, un régime de visa qui entraine aussitôt un trafic des passeurs pour des voyages clandestins parfois mortels.

En 1999, un calendrier de réformes sur 10 ans en vue de l’assimilation législative est approuvé à 73 % par la population. Mais celle-ci ne se fait pas sans heurts : les Mahorais, qui avaient cru à l’assurance de garder leur mode de vie et leurs coutumes, sont pris dans la reconstitution de l’état civil, qui sépare les Français de Mayotte, par un double et même triple droit du sol, des étrangers des autres îles. Elle leur impose d’adopter le statut personnel de droit commun, via une transformation du droit local : les mariages musulmans (la très grande majorité) ne sont plus reconnus au civil, ce qui multiplie les « mères célibataires » et ignore juridiquement l’existence des pères, contribuant à aggraver la crise de la jeunesse et des normes éducatives.

En 2009, le statut de département d’outre-mer est accepté par référendum à 95,2 % par les Mahorais (61,37 % de votants) qui attendent toujours de meilleures conditions de vie tandis que crises politiques et économiques se succèdent aux Comores.

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Source : The Conversation

 

 

 

 

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