France – Yasmine Belkaid, une exploratrice de l’immunité à la tête de l’Institut Pasteur

Après plus de vingt ans de carrière aux Etats-Unis, l’immunologiste franco-algérienne a pris, en janvier, ses fonctions de directrice générale du fleuron de la recherche biomédicale française. Son ambition : lui donner les moyens financiers de rester au sommet tout en rendant la culture maison « plus agile, plus ouverte, plus inclusive ».

Le Monde  – Yasmine Belkaid est de retour en France, qu’on se le dise ! Même assortie de roulements de tambour, l’annonce risque de ne pas bouleverser le grand public. Les scientifiques font rarement les gros titres – sauf lorsqu’ils décrochent un Nobel… ou proposent des traitements douteux pour vaincre une pandémie.

Dans le monde de la recherche médicale, en revanche, l’arrivée de l’immunologiste franco-algérienne à la tête de l’Institut Pasteur, après un quart de siècle passé aux Etats-Unis, constitue un événement. D’autant qu’une seule femme a occupé cette fonction avant elle.

« Toutes les universités américaines lui auraient fait un pont d’or et elle vient chez nous, c’est un petit miracle », souffle Alain Fischer, président de l’Académie des sciences et immunologiste comme elle. « Un miracle ? Je dirais plutôt que c’est un choix très raisonné, corrige son amie Bana Jabri, elle aussi immunologiste, professeure à l’université de Chicago et prochaine directrice de l’Institut Imagine, à Paris. Cette décision conjugue ses intérêts scientifiques, politiques et humains. »

Quant à Anthony Fauci, son patron pendant dix-sept ans aux National Institutes of Health (NIH), il ne cache pas ses sentiments mitigés. « C’est avec un mélange de tristesse et d’excitation positive que nous, ici aux Etats-Unis et aux NIH, faisons nos adieux à Yasmine Belkaid, nous déclare le “M. Santé publique” des huit derniers présidents américains. Nous sommes tristes parce que nous perdons l’une de nos scientifiques les plus appréciées et les plus chères, une superstar scientifique et un leader visionnaire, mais nous sommes excités d’une manière positive parce que nous savons qu’elle sera directrice de l’Institut Pasteur, l’une des institutions de recherche biomédicale les plus remarquables au monde. » Le décor est posé.

La science, son refuge

 

Parler du « retour en France » de Yasmine Belkaid, c’est toutefois oublier sa troisième patrie. Ou plutôt la première : l’Algérie. C’est là qu’elle est née, en août 1968, dans une famille binationale, profondément marquée par la lutte indépendantiste. Son père a quitté l’école pour rejoindre la guérilla à l’âge de 13 ans. En pur autodidacte, il a gravi les échelons administratifs pour devenir haut fonctionnaire, puis ministre. Sa mère, française, professeure de lettres classiques, a traversé la Méditerranée en 1962 « pour venir reconstruire le pays et réparer les ravages de la colonisation ». Dans la famille, on chérit donc la liberté, l’engagement et le savoir.

La jeune Yasmine ajoute à ce cocktail une passion toute personnelle : la science. Elle l’a découverte pendant ses vacances en France, chez sa grand-mère pharmacienne. « Elle avait un laboratoire derrière l’officine, se souvient-elle. Mes premiers jouets, c’étaient des objets scientifiques sur la paillasse blanche. Et elle m’amenait dans la montagne, me montrait les plantes, comment on pouvait les transformer en remèdes. A 6 ans, j’ai annoncé que je voulais devenir chercheuse. J’ai commencé à rédiger une encyclopédie. Je me suis arrêtée à la lettre A, après peut-être deux entrées. Mais c’était décidé. »

La suite est presque classique, avec une scolarité brillante qui la conduit en biologie à l’université Houari-Boumediene d’Alger. Son parcours, elle l’inscrit alors dans les pas de son père. « Mon intention était de rester en Algérie. J’adorais mon pays. Mais la guerre est arrivée. » Déchiré par la lutte entre l’armée et les milices islamistes, le pays interrompt tous ses programmes de thèse. « Mon père nous a envoyés en France, avec ma mère, mon frère et ma sœur. Il nous pensait en danger. » Le 28 septembre 1995, Aboubakr Belkaid est tué par balles en plein centre d’Alger.

Pour Yasmine Belkaid, la science devient un refuge. Si l’adaptation à la France, à son climat, aux rigidités de son système, au regard porté sur les étrangers s’avère difficile, l’Institut Pasteur, où elle conduit sa thèse d’immunologie, la comble. « C’était toujours une manière globale de voir les choses, placer les éléments dans leur contexte, étudier des systèmes complexes. A l’époque, c’était très original. » La question qui la taraude est, il est vrai, aussi vaste que fondamentale : comment les microbes persistent-ils dans notre organisme malgré l’extraordinaire système immunitaire dont nous a dotés l’évolution ? « J’ai passé toute ma vie à me poser cette question », dit-elle avec un sourire.

Dès sa thèse, elle pose sa mire sur le tissu biologique, sa diversité, sa capacité à changer la trajectoire d’une infection. Ce travail aboutira quelques années plus tard à sa première découverte majeure : un mécanisme par lequel les pathogènes recrutent une protéine anti-inflammatoire de leur hôte, l’interleukine 10, pour neutraliser son système immunitaire. La recherche a été lancée à Paris. Mais c’est aux Etats-Unis qu’elle vivra cette « épiphanie ».

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Source : Le Monde  – (Le 10 février 2024)

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