Sénégal – Les ferments du coup d’État institutionnel

Afrique XXI  Analyse · En mettant fin de manière unilatérale, et sans base légale, au processus électoral trois semaines avant le premier tour de la présidentielle, Macky Sall a plongé le Sénégal dans une crise institutionnelle sans précédent. Depuis qu’il dirige le pays, il n’a cessé d’instrumentaliser la justice à des fins politiques et de réprimer les voix critiques.

Avant le 3 février 2024 et l’annonce par le président Macky Sall du report sine die du scrutin1, le Sénégal se dirigeait vers une élection présidentielle qui se distinguait de toutes les précédentes pour deux raisons. D’abord, pour la première fois dans l’histoire du pays, le président sortant, Macky Sall, n’était pas candidat, ce qui, théoriquement, devait ouvrir le jeu politique et favoriser un vrai débat sur les options futures. En outre, le principal leader de l’opposition, Ousmane Sonko, n’était pas lui non plus candidat : il a été écarté des joutes électorales à la suite de procédures judiciaires qui ont abouti à sa condamnation et à son inéligibilité pour une durée de cinq ans.

Mais ce 3 février, tout a changé lorsque, dans un discours à la nation, Macky Sall a abrogé le décret fixant le premier tour de la présidentielle au 25 février, prétextant une « crise » entre le Conseil constitutionnel, dont deux des sept membres ont été accusés de corruption, et l’Assemblée nationale, qui a établi une commission parlementaire afin d’enquêter sur ces allégations. C’est un moment inédit dans l’histoire du pays, qui le plonge dans une grande incertitude.

Vingt candidats devaient se présenter au suffrage des citoyens sénégalais. Mais deux candidats majeurs n’en ont pas eu la possibilité, ils ont été exclus de la course : Karim Wade, du Parti démocratique sénégalais (PDS), en raison de sa double nationalité (sénégalaise et française), et ce malgré la publication d’un décret de renonciation d’allégeance à la République française daté du 16 janvier 2024 ; et Ousmane Sonko. Détenu depuis le mois de juin 2023, d’abord chez lui puis à la prison de Sébikotane, le leader du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) a vu son recours rejeté par le Conseil constitutionnel.

La campagne officielle était censée débuter le 4 février et s’étaler sur trois semaines. Mais, dans les faits, elle a commencé depuis longtemps : précisément depuis mars 2021, lorsque Sonko a été accusé de viols et de menaces de morts sur une jeune femme, Adji Sarr, et détenu à la section de recherches de la gendarmerie nationale. Au cœur du débat qui a suivi – que l’on peut résumer ainsi : « le système contre le candidat anti-système » –, plusieurs questions ont été soulevées, telles que la politisation de l’administration publique, l’état de la justice sénégalaise, ou encore les enjeux liés à la corruption et à la gestion des deniers publics. Ces questions étaient déjà centrales lors des élections municipales et législatives de 2022, à l’issue desquelles la coalition de l’opposition avait réussi à percer des lignes et à déstabiliser l’assise de la majorité présidentielle. D’une certaine façon, le 25 février devait être le dernier épisode de ce long feuilleton même si, depuis, des scissions ont eu lieu au sein de l’opposition comme du pouvoir.

Une administration fortement politisée

 

Au-delà de la justice, tout le processus électoral ayant abouti à la promulgation des candidats définitifs le 20 janvier a été entaché d’accusations d’obstruction et de partialité. Déjà en septembre 2023, le retrait des fiches de parrainage, qui doit permettre aux candidats de se faire sponsoriser par une partie des électeurs (entre 0,8 et 1 % du fichier électoral), des élus locaux ou des parlementaires, a suscité la controverse. En effet, la Direction générale des élections (DGE) a refusé de délivrer des fiches au mandataire d’Ousmane Sonko, arguant du fait qu’il a été radié des listes électorales après sa condamnation pour « corruption de la jeunesse », et son inculpation pour « atteinte à la sûreté de l’État ».

Après ce refus, l’opposition a engagé plusieurs procédures devant les tribunaux du Sénégal et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour contester cette mesure administrative. Si la Cour de justice de la Cedeao a estimé, en novembre, que l’État sénégalais n’avait pas violé les droits d’Ousmane Sonko en le radiant des listes et en dissolvant le Pastef, le jugement des tribunaux sénégalais a été plus favorable aux plaidoiries de l’opposition, après moult péripéties.

Lire la suite

 

 

 

Ousmane Diallo

 

Ousmane Diallo est un chercheur basé à Dakar. Il est docteur en gouvernance mondiale de l’université Wilfrid-Laurier

 

 

 

Source : Afrique XXI 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page