
Le Monde – La frappe est belle, pure, délicatement déposée dans les filets de la cage adverse. Samedi 13 janvier, Seko Fofana, virevoltant milieu de la Côte d’Ivoire – le pays hôte – a signé avec élégance le premier but de la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN) face à la Guinée-Bissau (2-0). Comme un symbole, ce but raconte aussi un autre aspect du football africain, celui d’identités mêlées et de parcours rappelant la longue histoire qui relie ce continent à l’Europe. En effet, Seko Fofana, 28 ans, est né à Paris et a revêtu le maillot de la France en sélection de jeunes avant de choisir les Eléphants en 2017.
Depuis plusieurs années déjà, les binationaux sont venus garnir les effectifs des équipes du continent, leur permettant d’être davantage compétitives à la CAN ou dans d’autres tournois. Sénégal, Comores, Mali, Tunisie… Les sélections africaines ont ainsi pu élever « leur niveau de jeu », reconnaît Amir Abdou, coach de la Mauritanie, en s’appuyant de plus en plus sur leur diaspora, comme l’a fait avec succès l’Algérie depuis le début des années 2000. Ou encore le Maroc, qui, en disputant une demi-finale historique de la Coupe du monde au Qatar – jamais une équipe africaine n’était allée aussi loin dans ce tournoi –, est venu valider cette stratégie de sélectionner des joueurs nés ailleurs dans le monde.
Sur les 24 nations qualifiées à la CAN, seuls trois pays (Afrique du Sud, Egypte et Namibie) ne comptent pas de binational dans leur effectif. Historiquement, ces trois sélections se sont toujours massivement appuyées sur des garçons évoluant dans les championnats locaux, ceux d’Egypte et d’Afrique du Sud étant considérés comme les plus relevés du continent. Concernant les autres nations en lice, des plus imposantes aux plus modestes, elles ont fait appel à ces footballeurs munis de plusieurs passeports, originaires de France, d’Espagne, d’Allemagne ou des Pays-Bas.
« Les meilleurs sont en Europe »
Leur présence dans les sélections est une manière, par ailleurs, de pointer la faiblesse des championnats africains. C’est le constat que dresse Sébastien Desabre, l’entraîneur français de la République démocratique du Congo (RDC). « Le championnat national a été interrompu une partie de l’année dernière. De nombreux joueurs ont quitté le pays. Je ne pouvais pas faire autrement que de sélectionner majoritairement des binationaux, explique-t-il. Mais même sans cette interruption, je l’aurais fait, car les meilleurs sont en Europe. » Cet apport a permis aux Léopards d’avoir, ces derniers mois, de meilleurs résultats, au point de se qualifier pour la CAN.
En Algérie, Djamel Belmadi, le coach emblématique des Fennecs, a convoqué Houssem Aouar (AS Roma), 25 ans, qui comptait pourtant une sélection avec l’équipe de France A datant de 2020. Grâce à un nouveau règlement, l’ancien Lyonnais a pu changer de nationalité sportive. Il aurait dû être rejoint par Amine Gouiri (Stade rennais), 23 ans, mais cet ancien international espoir tricolore n’a pas pu se rendre en Côte d’Ivoire à cause d’une blessure. Sur le onze de départ qui a affronté l’Angola lundi (1-1), sept titulaires sont nés en France. « En Algérie, il y a beaucoup de talents et de potentiel, mais on forme très peu de joueurs. La qualité de la formation ne leur permet que très rarement d’évoluer au plus haut niveau », constate Nabil Neghiz, ancien entraîneur de l’équipe nationale.
Le technicien souligne que des cadres de la sélection qui sont nés en Algérie, où ils ont commencé leur carrière professionnelle – comme Islam Slimani, Baghdad Bounedjah ou Ramy Bensebaïni –, ont dû vite s’expatrier pour progresser. Il reconnaît que son pays « fait preuve d’une certaine paresse en termes de formation ». « On mise beaucoup sur les binationaux, surtout ceux nés en France, où la formation est l’une des meilleures du monde, assène-t-il. Sans eux, l’Algérie n’aurait jamais gagné la CAN en 2019. »
Ainsi, les victoires prestigieuses et la possibilité de participer à un Mondial créent une sorte d’appel d’air. « Des binationaux se manifestent pour nous rejoindre », note Sébastien Desabre, soulignant que la fédération congolaise a amélioré, en parallèle, les conditions de vie de la sélection (transports, hébergement, primes) afin de la rendre plus attractive.
Jusqu’à quatre nationalités
Toutefois, certains binationaux hésitent encore à revêtir le maillot de leur pays d’origine, espérant, pour ceux nés en France, être appelés un jour par Didier Deschamps et croiser Kylian Mbappé à Clairefontaine. « Il ne faut pas leur en vouloir, concède Yacine Idriss Diallo, le président de la Fédération ivoirienne de football. Ils sont nés en France, y ont été formés. Il ne faut pas être hypocrite, cela ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas leur pays d’origine. »
Amir Abdou, le sélectionneur de la Mauritanie, est quant à lui confronté à une autre problématique : les joueurs trinationaux. Le technicien fait désormais face à des sportifs qui sont français, sénégalais et mauritaniens. Un de ses hommes à même quatre nationalités. « Ils savent qu’ils n’iront pas en équipe de France, alors ils rêvent du Sénégal », confie-t-il. Pour convaincre certains de rejoindre les Mourabitounes, le sélectionneur doit déployer des trésors de patience. Sa sélection est rarement le premier choix des jeunes, mais « c’est le “game”, c’est comme ça », dit-il.
Et il n’est pas le seul : il y a deux ans, l’ancien directeur technique du Maroc, Nasser Larguet, avait expliqué avoir tenté d’enrôler Ismaël Bennacer – qui est aussi franco-algérien –, lequel a finalement opté pour les Fennecs. L’attaquant Nicolas Jackson (Chelsea) a quant à lui choisi les Lions de la Teranga alors qu’il est aussi gambien et mauritanien. « On n’a pas beaucoup de budget, on voyage en classe éco », décrit Tom Saintfield, le sélectionneur de la Gambie, pour expliquer à quel point il est difficile de rivaliser avec des sélections plus riches.
Source : Le Monde
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