
Le Monde – C’est un étrange mélange des genres que met en lumière l’information judiciaire ouverte par le parquet de Paris, en 2022, sur les « affaires » autour du Paris Saint-Germain et de son président qatari, Nasser Al-Khelaïfi, alias « NAK ». Cette enquête tentaculaire vaut à six protagonistes d’avoir été mis en examen, au premier rang desquels figurent le lobbyiste franco-algérien Tayeb Benabderrahmane, l’ex-policier antiterroriste devenu salarié du PSG Malik Nait-Liman et Jean-Martial Ribes, l’ex-directeur de la communication du club (2017-2022) et de son propriétaire, le fonds Qatar Sports Investments (QSI).
L’enquête s’est récemment focalisée autour des activités de M. Ribes, mis en examen le 1er décembre 2023, entre autres pour « corruption et trafic d’influence actifs ». « Ribes est sollicité pour l’obtention de places de matchs de football du PSG par des journalistes, des hommes politiques, des élus, des membres de cabinets ministériels ou de la présidence, des artistes, peut-on lire dans un procès-verbal de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) daté de novembre 2023. Il obtient parfois des services de ces derniers, notamment à titre privé. Services qu’il sollicite ou qu’on lui propose. »
D’après ce même document, déjà cité par Libération, L’Equipe et Mediapart et consulté par Le Monde, les enquêteurs se sont intéressés au cas de Pascal Ferré, ex-rédacteur en chef du magazine France Football (FF), un titre appartenant, comme L’Equipe, au groupe Amaury. M. Ferré était en particulier chargé de l’organisation du trophée du Ballon d’or, une prestigieuse récompense attribuée par le magazine au meilleur joueur de l’année à l’issue d’un vote de journalistes spécialisés du monde entier. Pour les clubs aussi, l’enjeu est crucial en matière de marketing et d’image.
Dans ce contexte, les enquêteurs ont étudié l’évolution des relations entre M. Ferré et les dirigeants du PSG, M. Ribes et son président, NAK, alors que les rapports entre L’Equipe, l’autre titre du groupe Amaury, et le club s’étaient détériorés. Ainsi, d’après l’IGPN, il apparaît que M. Ferré a accepté, le 15 juillet 2019, à la demande de M. Ribes, de retirer « du fil info » commun des sites Internet de FF et de L’Equipe la reprise d’une information de Mediapart mettant en cause NAK pour une commission irrégulière de 2 millions d’euros versée à un agent de joueurs.
« Séjour tennis » dans l’émirat
Selon les enquêteurs, M. Ferré reçoit par la suite plusieurs cadeaux de l’état-major du PSG. Si, pour des raisons d’agenda, il ne peut honorer des invitations tous frais payés (« hôtel, business de A à Z », dixit M. Ribes) au Qatar pour la Coupe du monde des clubs, en décembre 2019 puis en janvier 2020, le rédacteur en chef de FF est convié, en février 2020, à un « séjour tennis » dans l’émirat afin d’assister, notamment, à un tournoi. M. Ribes obtient alors l’accord de M. Al-Khelaïfi « pour que l’avion, l’hôtel et le tennis soient payés par le bureau de communication du gouvernement du Qatar ».
En mars 2020, M. Ferré demande à M. Ribes « une ou deux places » pour un match (disputé à huis clos) de Ligue des champions du PSG contre Dortmund, expliquant a posteriori au directeur de la communication du club que FF n’avait aucune accréditation, ce dont disposent généralement les médias. A Paris plus encore qu’ailleurs, de telles invitations pour les grands matchs sont très recherchées. La pratique n’a rien d’illégale, mais elle peut aider le club dans sa stratégie d’influence.
En juillet 2020, M. Ribes sollicite vainement M. Ferré pour « mettre en avant une [des] top joueuses [du PSG], Nadia Nadim » afin de la « booster lors des votes » dans l’optique du Ballon d’or féminin. « Si déjà elle peut être sur la liste [des nominées] », glisse M. Ribes. M. Ferré apprend par la suite à son interlocuteur qu’il n’y aura pas d’édition 2020 du trophée en raison de la pandémie de Covid-19, qui a perturbé la saison footballistique. En mars 2021, un voyage est planifié au Qatar afin de permettre à M. Ferré de visiter les stades du Mondial qui doit être organisé l’année suivante dans le pays. Le rédacteur en chef de FF lui fait savoir qu’il souhaite en profiter pour « voir » M. Al-Khelaïfi « sur place », « et des amis proches pour faire un sujet vraiment personnel ».
Pourvu d’un document officiel l’autorisant à se rendre au Qatar, adressé par M. Ribes, et alors qu’il a assuré à son interlocuteur que son magazine prendrait en charge le voyage en avion, M. Ferré reçoit du « dircom » du PSG, peu avant son départ pour Doha, un billet de la compagnie nationale Qatar Airways « upgraded en business », émis par le bureau de la billetterie du gouvernement qatari. M. Ribes lui demande de « garder » pour lui l’information selon laquelle il a reçu du Qatar un tel billet.
Mécontent de la « une » de « L’Equipe »
En arrivant à Doha, M. Ferré trouve dans sa chambre d’hôtel cinq kilos de dattes offertes par M. Al-Khelaïfi. Quelques jours plus tard, M. Ribes lui envoie un billet retour Qatar Airways pour Paris (au même tarif qu’à l’aller, soit 4 493 euros), émis par la billetterie du gouvernement de Doha. « On reviendra », écrira par la suite M. Ferré à M. Ribes, le remerciant pour l’organisation du voyage.
En avril 2021, M. Ferré est invité pour le quart de finale aller de Ligue des champions entre le PSG et le Bayern Munich par M. Ribes, avec l’accord de NAK. En mai, M. Ribes indique à M. Ferré que M. Al-Khelaïfi « a rencontré la famille Amaury, propriétaire du journal ». En juin, M. Ribes écrit à NAK que France Football s’apprête à réaliser, en juillet, « un numéro spécial Coupe du monde Qatar 2022, qui sera positif », et un autre sur lui en août.
Le 12 août, alors que le joueur argentin Lionel Messi rejoint le club parisien, M. Ferré est en relation constante avec ses dirigeants. Le 27 août puis le 8 septembre, il demande trois places à M. Ribes, pour lui et deux de ses « meilleurs amis », pour le match PSG-Lyon, prévu le 19 septembre, tout en sollicitant un rendez-vous avec M. Al-Khelaïfi afin d’évoquer le prochain Ballon d’or et sa cérémonie. Il ne fait guère de doute que Messi, la nouvelle recrue, fera partie des favoris. Pour le PSG, l’enjeu est plus que jamais d’importance.
Le 18 septembre, NAK est mécontent d’une « une » de L’Equipe sur les « conditions salariales accordées » à Messi par le PSG, qui a provoqué le courroux de la star argentine et de son entourage. M. Ferré confie à M. Ribes avoir « passé un savon » au directeur de la rédaction de L’Equipe de l’époque, Jérôme Cazadieu.
« Du lobby » en faveur de Lionel Messi
Alors qu’un entretien entre Messi, dernier lauréat du trophée, et FF est prévu de longue date, le président du PSG s’active en coulisses : il demande à M. Ribes que M. Ferré fasse « du lobby » en faveur de Messi, récent vainqueur de la Copa America avec l’Argentine, et indique que « c’est important de dire » que le PSG « aide » la star « en ce sens ». NAK propose même d’organiser un déjeuner avec M. Ferré, histoire d’appuyer cette démarche de lobbying. « Nous ferons pression alors faisons ce déjeuner avec Pascal », écrit M. Ribes à NAK.
Le 19 septembre, M. Ferré obtient de M. Ribes des « badges donnant accès au carré [VIP] » du Parc des Princes pour le match contre Lyon. Le 30 septembre, M. Ferré transmet à M. Ribes un communiqué de presse faisant état de la nomination attendue de Lionel Messi. Quelques jours plus tard, le journaliste propose à M. Ribes de lui envoyer la « une » du magazine consacrée à Messi à paraître prochainement pour lui « donner une résonance maxi ». Fin novembre, l’Argentin remporte le trophée pour la septième fois de sa carrière.
Doit-on pour autant en conclure que France Football a cédé aux pressions du club ? Messi n’était que le second choix dans le propre vote de Pascal Ferré, lequel avait placé en numéro un le buteur polonais Robert Lewandowski. Sollicité, M. Ferré nous a renvoyés vers son avocat, Jean-Didier Belot. Ce dernier n’a pas souhaité faire de commentaire sur les cadeaux reçus par M. Ferré, indique que son client « ne saurait répondre » à nos questions tout en dénonçant des « raccourcis et interprétations aussi fantaisistes que diffamatoires ».
« M. Ribes a toujours mené ses activités de directeur de la communication dans le respect des règles pour promouvoir et défendre les intérêts du club », a réagi samedi son avocat, Romain Vanni. Quant au PSG, il n’a pas souhaité faire de commentaire. Placé en garde à vue en novembre 2023, M. Ribes avait assuré que M. Ferré, « un ami », n’avait exercé aucune influence en lien avec l’attribution du Ballon d’or : « En termes de lobby, je ne sais pas ce qu’il a pu faire. Chaque journaliste choisit un joueur. » De fait, le système de vote – par un large panel de spécialistes – semble limiter les risques de manœuvres douteuses.
M. Ribes s’était également expliqué au sujet des cadeaux offerts à M. Ferré entre 2020 et 2021 : « C’était un journaliste influent au niveau mondial, en qui Nasser pouvait avoir confiance (…). On est avant la Coupe du monde [au Qatar]. Il a fait un gros sujet sur Nasser. Il est venu deux ou trois fois. C’est de la communication. Le bureau de communication du Qatar avait pour habitude de payer les vols et hôtel des journalistes. »
Face aux enquêteurs, M. Ribes a en outre écarté tout lien entre les actions de lobbying menées auprès de M. Ferré et son recrutement ultérieur par le PSG. Car depuis janvier 2023, l’ancien rédacteur en chef de France Football est directeur des relations presse et médias de l’équipe première du club, autrement dit l’un des principaux collaborateurs de Nasser Al-Khelaïfi.
Pascal Ferré, ex-rédacteur en chef de France Football, n’est pas le seul journaliste mentionné dans le procès-verbal d’enquête de l’inspection générale de la police nationale sur les coulisses du Paris Saint-Germain. Un membre de la rédaction du Monde est cité, au détour du dossier, pour avoir contribué, en 2016, à mettre en relation l’ex-directeur de la communication du club Jean-Martial Ribes et l’ancien policier Malik Nait-Liman. Ces derniers sont aujourd’hui deux des principaux protagonistes de cette affaire dans laquelle ils ont été mis en examen. Ce journaliste a par ailleurs bénéficié de places au Parc des Princes offertes par M. Ribes.
Source : Le Monde
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