Quand Israël va chercher sa main-d’œuvre en Afrique

Afrique XXI – Depuis le 7 octobre, l’État hébreu a vu sa main-d’œuvre étrangère – en premier lieu thaïlandaise – fuir ses exploitations agricoles. Pour faire face à cette pénurie, Tel-Aviv a notamment fait appel aux travailleurs du Malawi, un allié historique sur le continent et le pays d’adoption de Nir Gess, une figure influente de la diplomatie parallèle israélienne.

 

« Nous suivons avec attention et préoccupation cette arrivée de travailleurs malawites qui se fait hors de tout accord bilatéral et laisse craindre leur exploitation », indique depuis Tel-Aviv Assia Ladizhinskaya, porte-parole de l’ONG israélienne Kav LaOved (KLO), qui défend les droits des travailleurs étrangers présents en Israël.

Le samedi 25 novembre 2023, dans la soirée, un Airbus A321-251 de la compagnie israélienne Arkia décollait du Kamuzu International Airport de Lilongwe, la capitale malawite, avec à son bord un premier groupe de 221 jeunes travailleurs agricoles du Malawi. Direction : l’État hébreu. Selon Michael Lotem, ambassadeur d’Israël dans la sous-région1, ce vol ouvre la voie à un accord « gagnant-gagnant » entre Tel-Aviv et ce pays d’Afrique australe de 20 millions d’habitants, l’une des quinze nations les plus pauvres de la planète. « Les Malawites, explique le diplomate dans l’hebdomadaire sud-africain Mail & Guardian, gagneront 1 500 dollars par mois et, par dessus tout, acquerront de la connaissance. L’argent, ça va ça vient, mais la connaissance, ça reste. » Les travailleurs malawites, précise-t-il, « n’iront pas à Gaza, ils travailleront en Israël. Nous prendrons soin d’eux autant que nous prenons soin des Israéliens »2.

Depuis le début des années 1990, Israël attire des travailleurs venus du monde entier – et en premier lieu du Sud-Est asiatique – qui souhaitent se faire embaucher dans divers secteurs : les soins aux personnes âgées et aux personnes handicapées, l’agriculture, la construction, l’hôtellerie ou encore l’industrie.

Avant le 7 octobre 2023, Israël accueillait, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 105 000 étrangers détenteurs d’un permis de travail. Après les attaques du Hamas, puis le lancement par Tel-Aviv de l’opération militaire « Glaive de fer » sur Gaza, qui a fait plus de 21 000 morts, les secteurs du bâtiment et de l’agriculture se sont soudainement retrouvés à cours de bras. Les permis de travail des 18 000 Gazaouis autorisés à se rendre en Israël ont été révoqués et ceux des Palestiniens de la Cisjordanie occupée ont été suspendus. Dans le même temps, certains pays réservoirs de main-d’œuvre tels que la Thaïlande ont rapatrié 10 000 de leurs ressortissants – sur les 30 000 qui se trouvaient sur place –, parmi lesquels ceux qui étaient employés dans les exploitations agricoles3. Pour répondre aux besoins d’une filière qui connaît aujourd’hui une pénurie de 30 000 travailleurs, selon Avi Dichter, le ministre israélien de l’Agriculture et du Développement rural, il a donc fallu recruter ailleurs. Et notamment au Malawi, qui a été le premier pays du continent africain à répondre à cet intérêt.

Des travailleurs exploités et mis en danger

 

Mais à lire les témoignages et les derniers rapports publiés par l’ONG Kav LaOved, il semble que cette opportunité n’en soit pas forcément une. En 2021, l’ONG soulignait un manque d’accès des travailleurs étrangers du secteur agricole aux « soins médicaux, à des logements adéquats et à des conditions environnementales, sociales et de travail acceptables ». Elle notait que « les travailleurs [étrangers] sont également exposés à de nombreux risques pour la sécurité et la santé, tels que les pesticides, le travail en hauteur, le travail avec du bétail et le travail avec des véhicules et des outils lourds, souvent sans accès aux protections légalement requises ». Enfin, elle indiquait que « dans les zones ciblées par les tirs de roquettes […], les employeurs exigent souvent que leurs employés continuent à travailler dans les champs ou à la ferme, sans abri, même lorsque cela est interdit par le commandement du front intérieur israélien. Cela a entraîné de nombreux blessés et décès parmi les travailleurs ». Dans ce rapport, l’ONG exige que « des abris soient mis à disposition de tous les travailleurs situés à proximité des zones de combat ».

En 2019, dans une autre enquête, KLO avait déjà révélé que des étrangers venus se former à l’agronomie dans des centres agricoles israéliens pour une durée de onze mois – programme dont profitent des Malawites – s’étaient retrouvés forcés de travailler au mépris des lois du travail israéliennes.

Lors des attaques du 7 octobre 2023 lancées par le Hamas, 39 ouvriers agricoles thaïlandais ont été tués d’après le quotidien thaïlandais Bangkok Post, et 25 seraient portés disparus. Les terres israéliennes limitrophes de l’enclave palestinienne, au sud du pays, sont un haut lieu de la filière maraîchère israélienne : 75 % des légumes récoltés dans le pays viennent de cette zone, tout comme 20 % des fruits.

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Jean-Christophe Servant

Journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef adjoint du magazine de musiques urbaines L’Affiche

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

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