L’assassinat d’un puissant chef du Hamas à Beyrouth fait craindre une extension du conflit

Une frappe de drone attribuée à Israël a visé l’appartement où se trouvait Saleh Al-Arouri. En exil, le numéro deux du bureau politique du mouvement islamiste vivait dans la capitale libanaise dans un bastion du Hezbollah, visé pour la première fois depuis la guerre de 2006.

Le Monde – Un trou béant éventre la façade de l’immeuble d’un quartier résidentiel de la banlieue sud de Beyrouth. Dans ce fief du Hezbollah, des membres de la sécurité du mouvement chiite ont érigé des cordons pour protéger les accès. Avec une grande précision, en fin d’après-midi, mardi 2 janvier, une frappe de drone attribuée à Israël a visé l’appartement au troisième étage où se trouvait Saleh Al-Arouri, le numéro deux du bureau politique du Hamas. Le Palestinien de 57 ans, l’un des successeurs les plus crédibles d’Ismaïl Haniyeh à la tête du mouvement, a été tué en compagnie de six autres personnes, dont deux commandants de l’aile militaire.

Cet assassinat ciblé est le plus gros coup porté par Israël contre le Hamas depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, le 7 octobre. Proche de Yahya Sinouar, le chef du Hamas dans l’enclave palestinienne, et de sa branche militaire, qui ont planifié l’attaque sanglante responsable de la mort de 1 200 personnes en Israël ce jour-là et de la capture de plus de 240 otages, Saleh Al-Arouri était une cible prioritaire pour l’Etat hébreu. L’armée israélienne avait jusqu’à présent revendiqué l’élimination de cadres intermédiaires à Gaza. Cette opération est donc la première à viser les dirigeants du mouvement en exil. Elle est un camouflet pour le Hezbollah, dont le bastion à Beyrouth est visé par Israël pour la première fois depuis la guerre de 2006.

« Son assassinat est un tournant dans l’histoire du Hamas. Il en était une figure historique, très respectée en Cisjordanie comme par tous les acteurs de l’axe de la résistance au Liban, au Yémen, en Syrie et en Irak », estime Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris. Avec lui, c’est l’un des artisans les plus actifs d’une réconciliation avec le Fatah de Mahmoud Abbas et d’une unité des factions palestiniennes qu’Israël a éliminé. Sa mort a lieu symboliquement à la veille de la commémoration de l’assassinat du commandant des gardiens de la révolution iraniens, Ghassem Soleimani, dans une frappe de drone américain à Bagdad, le 3 janvier 2020. Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a néanmoins juré que son mouvement « ne sera jamais vaincu ». « C’est l’histoire de la résistance et du mouvement qui, après l’assassinat de ses leaders, devient encore plus fort et déterminé », a-t-il ajouté.

Une figure radicale et rassembleuse

 

Originaire d’Aroura, un petit village proche de Ramallah, où il est né en 1966, Saleh Al-Arouri avait rejoint le Hamas en 1987 pendant ses études islamiques à l’université d’Hébron. Impliqué dans la mise sur pied de l’infrastructure militaire du mouvement en Cisjordanie, et accusé d’avoir eu partie liée dans l’enlèvement de trois jeunes garçons en 2014, qui déclencha une guerre à Gaza, il a été arrêté à plusieurs reprises par Israël. L’Etat hébreu l’avait libéré en avril 2010, à la condition qu’il quitte la Cisjordanie. De Damas à Istanbul, puis à Beyrouth, l’homme avait rejoint le bureau politique du Hamas en exil, jusqu’à en devenir le numéro deux en 2017.

Le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh (à droite) et son second, Saleh Al-Arouri, à Gaza, le 2 août 2018.

 

Principal responsable du mouvement islamiste pour la Cisjordanie, Saleh Al-Arouri était l’homme de « l’unité des fronts » palestiniens, qui appelait de ses vœux une insurrection généralisée dans les territoires comme en Israël. Sa stature dans le mouvement s’était accrue après la dernière guerre à Gaza, en mai 2021, durant laquelle la Cisjordanie, Jérusalem et les villes dites « mixtes » juives et arabes d’Israël s’étaient embrasées à divers degrés. Depuis lors, l’Etat hébreu n’a cessé de l’accuser d’armer et de téléguider des groupuscules actifs à Jénine, à Naplouse et dans les camps de réfugiés.

C’était donner beaucoup d’importance à ce cadre en exil : ces jeunes insurgés, extrêmement populaires parmi les Palestiniens, n’ont jamais été inféodés exclusivement au Hamas. Mais Al-Arouri apparaissait tout à la fois comme une figure radicale face à Israël et rassembleuse dans l’arène palestinienne, entretenant des liens parmi toutes les factions.

Cette position lui a valu, mardi, des hommages appuyés dans les territoires. Notamment de la part de Jibril Rajoub, le secrétaire général du comité central du Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie, qui a déploré son « martyre », y voyant un « dénominateur commun de l’action nationale palestinienne ». Dès 2020, les deux hommes avaient négocié une réconciliation des deux principaux partis palestiniens, afin de permettre les premières élections générales depuis 2006, finalement annulées par le président Abbas.

« Frappe chirurgicale »

 

Selon la Chaîne 12, le secrétaire du gouvernement israélien, Yossi Fuchs, a demandé, mardi, aux ministres de s’abstenir d’évoquer publiquement la mort de Saleh Al-Arouri. Peu avant, le représentant du pays aux Nations unies, Danny Danon, avait néanmoins félicité le renseignement et les forces de sécurité. Le ministre de tutelle de la Cisjordanie au sein de la défense, Bezalel Smotrich, avait cité pour sa part sur le réseau X le livre des Juges : « Que tes ennemis périssent, ô Israël. »

Depuis les premiers jours de la guerre, les plus hauts responsables du pays répètent que les dirigeants du Hamas en exil paieront eux aussi le prix de l’attaque du 7 octobre. Début décembre 2023, un enregistrement d’une réunion du cabinet de guerre avait fuité dans les médias israéliens : le chef du renseignement intérieur, Ronen Bar, y promettait que les leaders du mouvement islamiste seraient assassinés au Liban, comme en Turquie et au Qatar. « En termes simples, cela veut dire éliminer le Hamas, et nous sommes déterminés à le faire – c’est notre Munich », affirmait M. Bar, en référence à la longue chasse menée par ses prédécesseurs contre les planificateurs de la prise d’otages d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, en 1972.

« Une chose est claire : il ne s’agit pas d’une attaque contre l’Etat libanais », mais d’une « frappe chirurgicale » contre la direction du Hamas, a insisté, sans revendiquer l’attaque, Mark Regev, un conseiller du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Le pays du Cèdre a néanmoins dénoncé une violation de sa souveraineté. « Ce nouveau crime israélien vise à entraîner le Liban dans une nouvelle phase de confrontation » avec Israël, a fustigé le premier ministre libanais sortant, Najib Mikati.

Lire la suite

  (Jérusalem, correspondant) et  (Beyrouth, correspondante)

Source : Le Monde

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page