France – L’éternel débat des notes à l’école

The Conversation Après des années de travaux sur l’évaluation des élèves et de si nombreuses recherches en « docimologie », on aurait pu croire la cause entendue : les notes attribuées au sein de l’institution scolaire ne sont ni une mesure objective des performances des élèves ni le moyen incontournable d’exprimer un jugement sur les niveaux atteints. Elles n’ont rien de scientifique. Et l’on pourrait, voire on devrait, s’en passer.

 

Mais la publication des résultats 2022 de l’enquête internationale PISA et la décision prise, dans la foulée, par le ministre Gabriel Attal, de décréter la fin du collège « uniforme » pour rendre le système éducatif français « plus exigeant », sont venues remettre la question des notes au cœur du débat éducatif.

Alors même que de nombreuses études dénoncent la pression excessive qu’elles exercent sur les élèves, l’ambition assumée d’une plus grande exigence va-t-elle leur redonner une place centrale dans l’institution scolaire ?

Culture de la performance scolaire et bienveillance éducative

Depuis plus d’une décennie, le système scolaire semble être agité par deux mouvements pendulaires concomitants. Le premier axe de balancement concerne ce que l’on pourrait appeler sa philosophie dominante, qui oscille entre la proclamation de l’exigence, pour une recherche de l’excellence, et la volonté d’un accueil bienveillant de tous, dans un souci de réelle démocratisation.

Le second axe, qui recoupe le premier, concerne spécifiquement l’évaluation. Celle-ci est touchée par des poussées de fièvre périodiques dans le sens d’une pratique expansive et exacerbée de la notation, que l’on pense être au service de l’excellence, auxquelles succèdent des périodes d’accalmie, dans le sens d’une pratique moins invasive et plus apaisée – que l’on pense plus apte à contribuer à la démocratisation du système.

Ainsi, après que des voix, dénonçant une culture de la performance, et une obsession du classement, se soient élevées pour mettre fin à « la tyrannie de la note », le ministre Luc Chatel décide en novembre 2010 de maintenir la notation dans le système scolaire français. Car, déclare-t-il, la note est utile pour « avoir des repères ».

Puis, bien qu’un sondage IFOP ait révélé en 2012 que 80 % des Français étaient opposés à la suppression des notes à l’école, on est tenté, en 2014, sur proposition du Conseil Supérieur des Programmes, de supprimer carrément notes et moyennes. Toutefois, en 2015, Le Monde titrera « La fin des notes n’est pas vraiment pour demain ». Une étude du CNRS montrera pourtant en 2016 que la suppression des notes en classe permet de réduire les inégalités de réussite liées à l’origine sociale.

La question du brevet des collèges est symptomatique des débats accompagnant ce double mouvement. Depuis 2006, le brevet, qui vérifie la maîtrise des programmes, coexiste avec le Livret personnel de compétences, qui valide la maîtrise du « socle commun » de connaissances, de compétences et de culture. En 2014, le ministre Benoît Hamon envisage sa suppression, ou tout au moins, déjà, sa réforme. Doit-on conserver deux modalités d’examen ? Et quelle doit être la part d’une évaluation progressive, et celle d’une validation terminale ?

Le brevet a été maintenu jusqu’à aujourd’hui, avec une part de contrôle continu s’élevant à 50 %. Mais Attal a fait part de son souhait de le réformer profondément, pour en faire un diplôme obligatoire pour entrer au lycée, et qui ne prendra en compte que des notes données par des correcteurs, sans validation collective de compétences. Au risque de réduire les taux de réussite.

Évaluer pour accompagner ou pour classer ?

 

Le ministre de l’Éducation a donc décidé de rendre le système éducatif « plus exigeant ». Mais l’exigence (élitiste ?) exige-t-elle la notation, et la bienveillance (démocratisante ?) sa suppression ? Pour traiter sérieusement de la place et de l’avenir de la notation dans le système scolaire, il faut prendre acte du double fait que l’évaluation ne se réduit pas à la notation, et que la présence (ou l’absence) de la notation n’est pas, en soi, un signe d’excellence, pas plus que de médiocrité.

La note n’est qu’un système commode pour exprimer le jugement que l’on a pu porter sur la façon dont celui qui l’obtient satisfait à des attentes le concernant (en termes, par exemple, de construction de connaissances). Il existe d’autres façons, sans doute beaucoup plus informatrices, pour exprimer, et affiner, ce jugement – dont des outils de diagnostic personnalisé, telles les échelles descriptives.

La présence de la notation n’a pas de signification univoque. Une note ne signifie pas rigueur, pas plus que son absence ne signifie laxisme ou faiblesse méthodologique. La rigueur tient dans le respect d’une démarche aujourd’hui clairement identifiée. Et la note n’est pas responsable de l’usage que l’on en fait !

Évaluer, c’est dire la valeur, en jugeant de l’acceptabilité d’une réalité par rapport à des attentes qui la concernent. Mais cela peut se faire dans deux grandes perspectives différentes : une perspective d’information et une perspective de filtrage. Dans le premier cas, l’objectif est de permettre à des individus de savoir, chacun, où ils en sont, dans le cadre d’un projet de progression individuelle. L’évaluation, alors informatrice, situe : elle répond à la question : où en suis-je ?

Dans le second cas, l’objectif est de dire la place d’un individu dans un ensemble où les places n’ont pas toutes la même valeur, dans le cadre d’un projet de progression sociale. Elle répond à la question : suis-je bien placé (voire : le mieux placé)… pour monter dans l’« ascenseur social » ? L’évaluation, alors « classante », statue : elle permet de trier/filtrer ceux qui seront les mieux placés, parce que les mieux classés. Elle désigne les meilleurs, en leur attribuant, de fait, une plus grande valeur « académique » ; et, par là même, une plus grande valeur sociale.

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Charles Hadji est un·e adhérent·e de The Conversation

Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)

Source : The Conversation

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