Sénégal : Amadou Ba, candidat d’un pouvoir désuni

Investi par le parti présidentiel pour l’élection du 25 février, le premier ministre doit faire face aux candidatures dissidentes d’autres cadres du pouvoir.

Le Monde – L’amphithéâtre du très chic King Fahd Palace de Dakar est comble en ce jeudi 21 décembre. Le cadre est suffisamment préservé pour qu’Amadou Ba puisse y savourer son investiture comme candidat de la coalition au pouvoir pour la présidentielle du 25 février 2024 et y haranguer une assistance acquise à sa cause. Le premier ministre sénégalais n’est pas réputé pour ses qualités de tribun mais, devant la salle qui exulte, il promet de « marquer le Sénégal comme le président de l’emploi » et de faire de son pays, s’il est élu, « une société de plus d’équité sociale et de prospérité partagée ».

La ferveur du soir ne peut cependant cacher le malaise grandissant dans les rangs du pouvoir. Le candidat, choisi en septembre par le président sortant Macky Sall, n’a pas encore trouvé de slogan de campagne, mais il peut déjà reprendre à son compte la formule de Voltaire : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis… » Jusque-là proférées en privé, les critiques venues de sa propre famille politique s’étalent désormais dans la presse.

« Sa campagne ne prend pas », juge un cadre du pouvoir. « On va vers un désastre », prédit déjà un autre. La charge la plus violente est venue de son ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang. « Sur la base d’études, on sait qu’il perd. Il ne passe même pas au premier tour », précise-t-il au Monde, assumant la virulence de son propos. Quelques jours plus tôt, ce proche de la première dame avait lancé les hostilités sur TFM : « J’ai dit à Macky Sall que je serais d’accord avec n’importe quel choix de sa part (…). Cependant, les gens doivent aller le voir et lui dire que son choix n’est pas le bon et qu’il doit en choisir un autre. »

Comme lui, une frange du parti présidentiel considère qu’Amadou Ba est « illégitime » à le représenter, au prétexte notamment qu’il ne se serait encarté qu’en 2017 à l’Alliance pour la République (APR), l’un des partis de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, « Unis par l’espoir »), par « opportunisme ». De l’aigreur de ne pas avoir été choisis pour défendre les couleurs du pouvoir, certains sont passés à la dissidence en présentant leur propre candidature. Le parti « tenu d’une main de fer » depuis 2008 par le président Macky Sall est aujourd’hui sérieusement fragilisé par le retrait de son fondateur.

« Ses propres alliés contre lui »

Ainsi, l’ancien ministre de l’intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, pressenti un temps pour représenter la mouvance présidentielle, n’a pas hésité à démissionner pour se présenter à la magistrature suprême. L’ancien premier ministre et ex-directeur de cabinet du chef de l’Etat, Mahammad Boun Abdallah Dionne, s’est également lancé dans la course. « Les gens de l’APR ont insisté pour que le chef de l’Etat désigne un candidat en promettant de se ranger derrière son choix. Revenir sur son engagement car on n’a pas été choisi, c’est un problème. Une évaluation de tout ça se fera le moment venu », prévient-on déjà au palais présidentiel.

Reste que si ces divisions internes sont scrutées de près à la présidence, cet éparpillement des candidatures révèle l’inévitable perte d’influence d’un chef d’Etat sur le départ. « Ce qu’il avait prédit est arrivé, explique un observateur étranger. S’il a tu si longtemps sa décision de ne pas se représenter, c’était pour repousser au plus tard possible ces escarmouches désastreuses pour son camp. »

« Cela signe un certain échec, constate pour sa part l’analyste politique Babacar Ndiaye, du groupe de réflexion Wathi. Si les candidatures de son clan sont validées par le Conseil constitutionnel, Amadou Ba aura ses propres alliés contre lui. S’il ne réussit pas à rallier par la suite les recalés, sa coalition risque d’être fragilisée. »

Un style jugé « fade », une personnalité jugée trop techno, Amadou Ba a la réputation d’un homme de dossiers et non celle d’un harangueur. « Sur le terrain, c’est Macky Sall que les gens applaudissent. Pas lui », grince un cadre de l’APR. Pour convaincre les électeurs, M. Ba, grand commis de l’Etat passé par la direction de l’Inspection des impôts et domaines, a multiplié ces dernières semaines les tournées dans le pays et à l’étranger. Sans toujours réussir à électriser les foules.

« Il serre les mains et fonce comme une flèche »

Début décembre, en marge du séminaire intergouvernemental avec l’exécutif français, son meeting auprès de la diaspora dans une salle municipale d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) avait annoncé une précampagne difficile. Alors que des centaines de sympathisants vêtus aux couleurs beige et marron de la coalition BBY avaient bravé le froid hivernal pour voir leur nouveau candidat, Amadou Ba n’avait pas eu le temps d’achever ses promesses de création d’une « banque nationale d’investissement pour la diaspora » ou de « l’électrification pour tous d’ici à 2026 ». Une coupure de courant avait mis fin brutalement à la cérémonie, le premier ministre devant quitter la tribune éclairée à la seule lumière d’un téléphone portable.

« Comment peut-il aller en campagne avec une équipe si peu organisée ?, persifle un cadre francilien de BBY. Il lui faut la reprendre en main et travailler son rapport aux populations. Contrairement à Macky Sall qui a toujours un mot pour chacun, il ne prend pas suffisamment le temps de l’écoute. Il serre les mains et fonce comme une flèche. »

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(Dakar, envoyée spéciale)

Source : Le Monde

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