Monsieur Cheikh était Mauritanien / Par Aissata Ahmedou Tidjane Bal

Le Tevrag Zeina de mon enfance portait une élégie naturelle comme si elle existait par contrainte. Son chagrin revêt sa véritable esthétique et dans son cœur vivait Monsieur Cheikh porteur aussi d’une solitude intellectuelle majestueuse, car choisit et célébrée, tout comme la nature célèbre le temps à travers une feuille d’arbre qui se volatilise.

Monsieur Cheikh était le roi et le serviteur des enfants, une oreille attentive qui laisse l’innocence exprimée tout son étonnement face au vivant. Monsieur Cheikh comptait parmi ceux qui avaient une idéologie politique enfouie, pour la trouver, il fallait observer la nature de l’homme et les décisions ultimes qu’il prit pour son existence.

Pendant que ses paires débattaient de l’arabité, de la gauche, de l’Iraq, alors que la vision politique guidée l’âme des hommes de chez nous, que les journaux du qalam vantaient les exploits des nationalistes du pays et d’ailleurs et les vieux discours de Michel Aflak, monsieur Cheikh choisit la compagnie des enfants à l’école de l’espoir, Amal. Il nous apprenait à être humain.

Monsieur Cheikh était Mauritanien. L’idéologie Politique que dégageait son attitude était celle des hommes ayant le sens de l’essentiel. Il fut résilient. L’idéologie politique véritable ne s’exprime guère par le verbe et par les lectures, elle se détecte par l’attitude. Monsieur Cheikh était d’une mélancolie positive comme les hommes de sa tribu.

Enfant, lorsque j’eus assez de mémoire pour lui compter mes périples au milieu des années 2000. Je prenais rendez-vous à son bureau. Il attendait avec impatience mon être minuscule lui narrer la beauté de la route de Kaedi, les tourbillons, cette montagne touchante abritant une tombe, les villages environnants, le fleuve, le caractère spécifique de chacun de mes cousins.

De par l’attention qui se dégageait de son visage, j’étais certaine qu’il ne connaissait rien du Gorgol. Il l’avait sûrement exploré, mais voulait que je me sente écouté. Vouer à l’enfant le respect que l’on voue aux sages au nom de leur innocence et de leur esprit, il voyait les choses ainsi.

Monsieur Cheikh m’inculqua qu’être mauritanien, c’est raconter la beauté de sa région à son semblable et admirer ensemble le vent qui souffle en provenance du nord et du sud, qu’être seul avec l’existence était le seul moyen d’être. À chaque fois que le vent souffle, je pense à son âme. Lui chuchote que j’ai lu Darwich, que je vis loin de mon pays mais physiquement seulement.

Ceux qui partent profondément ne disent jamais au-revoir. Ils laissent un héritage immatériel, un regard spirituel.

Notre sort national actuel n’a rien de poétique mais Monsieur Cheikh a existé et il existe encore dans les cœurs. Il est l’aîné rêvé, comme feu Sidy Mohamed Khattry qui est parti en silence. Qu’ils reposent en paix.

 

 

 

Aissata Ahmed Suleyman Bal  « Até Aycha »

Facebook – Le 23 décembre 2023

 

 

 

 

 

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