
à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ». La cour a ordonné la confiscation de ses biens et prononcé son inéligibilité. Une peine sévère, même si elle ne suit pas les réquisitions du parquet qui avait demandé vingt ans d’emprisonnement.
Stoïque, Mohamed Ould Abdel Aziz a écouté son jugement. L’ancien président mauritanien (2009-2019) a été condamné, lundi 4 décembre à Nouakchott,Lors de ce procès ouvert il y a plus de dix mois, une audience inédite en Mauritanie par la qualité du principal accusé, dix autres personnalités issues des sphères politiques et économiques étaient également jugées pour « abus de fonctions » et « trafic d’influence ». La cour a blanchi deux anciens premier ministres et d’anciens ministres.
D’autres condamnations, dont la plus sévère est de deux ans avec sursis et six mois ferme, ont été prononcées contre les coaccusés. Toutes les peines de prison ferme sont couvertes par la détention provisoire à l’exception de M. Aziz, le seul à rester en détention après dix-huit mois d’incarcération. Ses avocats vont faire appel.
Depuis l’ouverture du procès en janvier, la défense de Mohamed Ould Abdel Aziz, 66 ans, n’a cessé de dénoncer un « complot politique ». Celui-ci aurait été ourdi par Mohamed Ould Ghazouani, son successeur à la tête de l’Etat depuis août 2019. L’amitié « vieille de quarante ans » entre les deux hommes, renforcée par deux putschs (en 2005 et 2008) puis lorsque l’actuel président fut le directeur de cabinet et le ministre de la défense de Mohamed Ould Abdel Aziz, n’aura pas survécu à leur passation de pouvoir.
« Aziz gérait tout »
Elu président en 2009 puis réélu en 2014, Mohamed Ould Abdel Aziz ne pouvait briguer un troisième mandat en août 2019. Avec Mohamed Ould Ghazouani, il a estimé avoir trouvé son successeur. « Un an et demi plus tôt, il a prévenu son ami en lui disant : “Prépare-toi, c’est toi qui prends la suite !”, raconte un observateur de la scène politique mauritanienne. Aziz avait fait ses calculs et pensait qu’il allait pouvoir manipuler Ghazouani. Dans l’ombre, il se voyait déjà tenir les rênes du pouvoir, comme l’a fait Vladimir Poutine avec Dmitri Medvedev. Pendant la campagne présidentielle, Aziz gérait tout : les équipes, le transport, les objectifs… Cette omniprésence était gênante et même un peu humiliante pour son successeur. »
A peine élu, le nouveau président n’a pas tardé à prendre ses distances. Afin de marquer la rupture, il a constitué son équipe et son gouvernement tout seul, sans ce prédécesseur trop envahissant. Pendant cinq mois, l’impétueux Aziz est resté silencieux, jusqu’à la tenue d’une conférence de presse où il a fait part « de ses profondes divergences » avec Mohamed Ould Ghazouani. Celles-ci portaient notamment sur la présidence de l’Union pour la république (UPR), le principal parti de la majorité, que l’ancien président se serait bien vu diriger. Mais prendre le contrôle de l’UPR lui aurait redonné un rôle politique trop important. Cela lui a donc été refusé.
« Au lieu de choisir la voie diplomatique et de régler la question avec de longues palabres autour d’un thé, Aziz a choisi la confrontation directe, raconte le même connaisseur des arcanes mauritaniens. Cette prise de parole en public a fortement déplu à Mohamed Ould Ghazouani. Entre eux, il y a alors eu des explications musclées. »
Plusieurs marchés suspects
Des rumeurs de coup d’Etat, dans ce pays qui en a connu beaucoup, se sont propagées dans les rues de Nouakchott à l’hiver 2019. Le président a réagi en limogeant, fin novembre 2019, le commandant en chef du Bataillon de sécurité présidentielle (Basep), un fidèle de Mohamed Ould Abdel Aziz.
« Beaucoup de gens se trompent sur Mohamed Ould Ghazouani, estime un diplomate d’Afrique de l’ouest. C’est un dur, un homme qui ne plie pas. Lorsque des proches lui ont proposé de lancer une commission d’enquête sur la décennie Aziz, il a d’abord refusé. Mais l’ancien président a continué de le contester publiquement. Alors il s’est désinhibé et a validé le projet. Aziz a eu tort de penser que M. Ghazouani le craignait. »
Sur demande de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête parlementaire a été constituée en janvier 2020. Son but était de faire la lumière sur l’attribution de plusieurs marchés suspects (vente de domaine de l’Etat, activités d’une société chinoise de pêche…), mais également sur la gestion d’établissements publics tels que la Société nationale industrielle et minière (SNIM) ou la Société mauritanienne d’électricité (Somelec). Les conclusions furent accablantes. Pour les seuls accords passés par la SNIM, la commission a relevé des infractions de « corruption d’agents et de marchés publics, surfacturation et dépenses fictives, détournements, trafic d’influence, abus de fonction, prise illégale d’intérêt, enrichissement illicite, recel… »
Une « immense fortune »
Parmi les personnalités ciblées dans les 800 pages de ce rapport figuraient des hommes d’affaires, des cadres de la haute administration mais aussi Mohamed Ould Abdel Aziz. « La vente de la mine [de fer] de F’Dérick par l’administrateur directeur général sans en référer au conseil d’administration… et sur instruction de l’ancien président est une violation flagrante des lois et règlements en vigueur », relate le document. « Au regard des potentielles collusions sur plusieurs ventes de domaines à Nouakchott, en particulier pour la vente de l’école de police, du stade olympique dont le principal bénéficiaire final est la société SMIS SARL, propriété d’une personne physique de la famille de l’ancien président, la commission recommande de saisir les autorités judiciaires compétentes », pointe encore celui-ci.
Interrogé pendant une semaine dans les locaux de la sûreté nationale, l’ancien président a d’abord gardé le silence sur le système de corruption dont il serait le premier bénéficiaire. Puis il a crié au « complot politique » avant de contester devant ses juges la compétence de la Cour. Il n’est en revanche jamais parvenu à justifier l’origine de son « immense fortune », comme il l’a qualifiée lui-même. Celle-ci a été estimée par les enquêteurs à 67 millions d’euros. « S’il avait déclaré qu’elle provenait de campagnes électorales, cela relevait de l’abus de biens sociaux, analyse une source proche du dossier. S’il avait dit qu’elle provenait de dirigeants étrangers, il pouvait être accusé de haute trahison. »
Lorsqu’il s’est adressé une dernière fois à la Cour, le 27 novembre, Mohamed Ould Abdel Aziz a joué son va-tout, sa dernière carte. Il a affirmé qu’une grande partie de ses biens non déclarés provenaient de valises de billets remises par Mohamed Ould Ghazouani, après la passation de pouvoir. Cinquante véhicules lui auraient aussi été offerts. Cette justification de dernière minute n’a manifestement pas convaincu la justice. De son côté, l’actuel président n’a fait aucun commentaire sur ce procès qui a largement visé un régime qu’il a servi.
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com