L’Arabie saoudite réticente à s’engager contre la guerre à Gaza

Orientxxi.info  L’Arabie saoudite était, avant le 7 octobre, engagée dans une normalisation de ses relations avec Israël. La remise en cause de ce projet et l’expression d’une solidarité avec les Palestiniens ne sauraient toutefois entrainer un bouleversement des plans de transformation économique et sociale sur lesquels le prince héritier Mohamed Ben Salman joue sa survie politique. D’où son extrême prudence dans ses engagements concrets en faveur de Gaza.

La réponse publique de l’Arabie saoudite aux événements du 7 octobre a d’abord pris un ton de défi. Loin des propos alignés sur Israël qui ont afflué des capitales occidentales (et d’Abou Dhabi), la position adoptée à Riyad a fait porter la responsabilité de ce qui s’était passé en Israël sur les privations infligées au peuple palestinien.

La déclaration officielle du ministère des affaires étrangères a également réaffirmé ce que Fayçal Ben Farhan Al-Saoud, à la tête de la politique étrangère du royaume avait déclaré à l’ouverture de la 78e assemblée générale des Nations unies à l’automne 2023 : malgré les insinuations contraires — c’est-à-dire l’affirmation du prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) selon laquelle l’Arabie saoudite était prête à normaliser ses relations avec Israël à condition que ce dernier accepte de « faciliter la vie des Palestiniens » — le royaume demeure attaché aux principes de l’initiative de paix arabe de 2002. Si Washington et Tel-Aviv veulent achever un processus entamé avec Anouar El-Sadate à Camp David en 1978, Israël devra se replier sur les frontières de 1967 et résoudre la question des réfugiés conformément à la résolution 194 de l’assemblée générale de l’ONU.

 

Bloquer toute mesure concrète

 

Le message de Riyad a suscité l’espoir dans la région. Il en va de même de la conversation téléphonique de MBS avec le président iranien Ebrahim Raïssi le 12 octobre. L’idée que l’Arabie saoudite rejoindrait « l’axe de résistance » de Téhéran était, bien sûr, fantaisiste. La perspective d’un déploiement de l’arme pétrolière n’était toutefois pas déraisonnable, même si les partisans de cette idée en avaient surestimé la viabilité.

En 1973, bien avant que la capacité de production pétrolière des États-Unis n’atteigne les niveaux inégalés d’aujourd’hui, ce n’est qu’en raison d’effets contingents de second ordre — à savoir des paris spéculatifs sur les marchés des matières premières et des contrôles de prix malavisés — que l’embargo de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a entraîné une augmentation des prix des produits dérivés du pétrole et, partant, a permis de faire pression sur le plan politique. Néanmoins, à une époque marquée par la capitulation et le recul des pays arabes, il était tout à fait naturel que des opinions publiques atterrées par ce qui se passe à Gaza se prennent à souhaiter un front uni en solidarité avec les Palestiniens.

Alors que les semaines passaient et que le nombre de morts ne cessait d’augmenter à Gaza, la confiance placée dans l’Arabie saoudite s’est révélée étonnamment mal placée. Bien qu’elles ne soient pas sourcées, des informations émanant de médias liés à Doha1 suggéraient que Riyad, en collaboration avec trois autres « pays influents », avait œuvré pour bloquer les propositions appelant les membres de la Ligue arabe à geler les relations diplomatiques et commerciales avec Israël, à interdire l’utilisation de l’espace aérien et des bases militaires (américaines) pour le réapprovisionnement de l’armée israélienne, et à exprimer publiquement sa volonté d’appliquer un embargo sur le pétrole.

Le régime a également maintenu un contrôle aussi strict que possible sur le public saoudien. D’une part, cela a impliqué de tirer parti des vastes pouvoirs de surveillance de l’État et de ses autorités juridiques au pouvoir discrétionnaire — découlant de l’absence persistante de code pénal — pour maintenir encadrée la liberté d’expression. D’autre part, il a fallu prendre des mesures plus personnalisées visant les principaux groupes d’intérêt nationaux. S’adressant aux musulmans, le régime a dépêché Abdul Rahman Al-Sudais, chef des affaires religieuses de la Grande Mosquée, le 10 novembre, pour rappeler aux participants à la prière du vendredi que les commentaires sur ce qui se passe à Gaza est la prérogative des seuls dirigeants de l’Arabie saoudite, auxquels tous les citoyens sont tenus d’obéir en vertu de l’islam.

Avec un œil sur la jeunesse du pays, les dirigeants saoudiens ont veillé à ce que le grand festival — cinéma, matchs de boxe, courses de formules 1 — « Saison de Riyad », comme on l’appelle officiellement, se poursuive comme si de rien n’était. Le fait que la fête soit maintenue alors que les événements culturels et les célébrations religieuses, y compris Noël, ont été annulés par solidarité avec la situation critique de Gaza dans le reste de la région ne fait que mettre en évidence les priorités du régime saoudien.

Plutôt que d’actionner des leviers économiques pour contraindre les puissances occidentales à changer de politique, le prince héritier et ses collaborateurs ont pris toutes les mesures nécessaires pour que le deuxième producteur mondial de pétrole continue à faire des affaires comme d’habitude. Une rencontre rassemblant des investisseurs internationaux s’est déroulée comme prévu et une campagne, jusque dans les rues de Paris, a pu célébrer la désignation de Riyad comme hôte de l’exposition universelle en 2030.

Après la Coupe du monde de football prévue cette même année pour laquelle l’Arabie Saoudite demeure seule en lice, c’est là un autre signe qui ne manque pas de soulever des critiques dans les sociétés arabes. Des tentatives de boycott de la chaîne MBC et de la plateforme populaire de streaming Shahid ont été lancées sur les réseaux sociaux alors que l’annonce de l’organisation d’un exceptionnel concours canin — les chiens ayant une image très ambiguë dans l’imaginaire populaire de la péninsule — donnait lieu à quelques insultes sur les Saoudiens.

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Colin Powers

Membre du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Noria Research, spécialiste en économie politique.

 

 

 

 

 

Source : Orientxxi.info  

 

 

 

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