En Tunisie, un affrontement entre migrants et forces de l’ordre fait craindre une nouvelle vague répressive

Une traque est engagée pour retrouver les exilés subsahariens qui s’en sont pris à plusieurs agents de la garde nationale venus détruire des embarcations de fortune dans le hameau côtier d’El-Hamaziah.

Le Monde  – De l’affrontement qui a opposé, vendredi 24 novembre, la garde nationale tunisienne à un groupe de migrants subsahariens dans le hameau côtier d’El-Hamaziah, au centre-est de la Tunisie, il reste peu de traces visibles : quelques douilles de grenades lacrymogènes, un bout de sol calciné par l’incendie du véhicule des forces de l’ordre et une tache de sang dans la poussière. L’altercation a été aussi brève que violente, faisant craindre une nouvelle poussée de fièvre dans une région devenue, au cours de l’année 2023, l’un des principaux ports de départs des migrants vers l’Europe.

Selon Hichem Ben Ayed, porte-parole du tribunal de Sfax, quatre agents ont été blessés ce matin-là. Ils étaient venus à El-Hamaziah avec un objectif : détruire des barques en métal utilisées par les exilés subsahariens pour tenter de rejoindre l’île italienne de Lampedusa, située à environ 150 km de là. Depuis le début de l’année, 95 897 personnes sont arrivées en Italie depuis la Tunisie, selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dont une grande partie grâce à ces coques de tôle rouillée mesurant sept à neuf mètres, peu chères et produites en masse dans les environs d’El-Amra.

Voyant les gardes nationaux cibler les embarcations, un groupe de migrants s’est mis à jeter des pierres sur les agents. Ces derniers ont riposté en tirant des grenades lacrymogènes. La situation s’est vite envenimée : la camionnette des forces de l’ordre a été encerclée, avant d’être renversée puis incendiée. Sur une vidéo, partagée sur les réseaux sociaux et authentifiée par Le Monde, un agent en uniforme vert apparaît gisant au sol face contre terre, le visage ensanglanté, semblant inconscient.

Atmosphère de chasse à l’homme

L’un des assaillants aurait également profité du chaos pour dérober l’arme d’un des gardes. Un groupe de migrants a en effet été filmé avec ce qui semble être un fusil, brandi en signe de célébration. Interrogé à ce sujet, Hichem Ben Ayed n’a « ni affirmé, ni infirmé » l’information. Mais d’après un garde national patrouillant dans la zone dimanche, des migrants ont bien réussi à s’emparer d’une arme. « Seulement le canon », dont « ils ne peuvent rien faire », a précisé l’agent.

Fusil ou pas, une atmosphère de chasse à l’homme règne dans la région d’El-Amra depuis vendredi. Les autorités ont déployé des agents des unités spéciales de la garde nationale (USGN) et de la brigade nationale d’intervention rapide (BNIR), vêtus de treillis militaires, visages masqués et armés de fusils d’assaut, ainsi qu’une armada de véhicules dont plusieurs blindés. Des colonnes qui vont et viennent, toutes sirènes hurlantes.

« Nous aussi nous recherchons ces garçons et, si nous les trouvons, nous appellerons la police », assure Sani Fatye, 45 ans, originaire de Gambie, qui vit dans un campement précaire non loin d’El-Hamaziah. « Ce n’est pas normal ! Il y a des lois dans ce pays comme dans chaque pays et nous devons les respecter en tant qu’étranger. Nous n’allons pas faire la guerre avec le gouvernement ! », s’énerve le Gambien, inquiet de voir l’ensemble des migrants présents dans la zone subir les conséquences de l’attaque.

Des agents des forces de sécurité sont déjà passés voir Paul-Edouard*, un Camerounais de 38 ans, pour s’assurer de sa pleine coopération. « Ils sont venus nous montrer le portrait de celui qu’ils recherchent et ils nous ont donné un numéro pour les joindre, explique-t-il. Ils nous ont bien fait comprendre qu’il fallait les aider si nous ne voulions pas d’ennui. » Au kilomètre 35, sur la route de Mahdia, les forces de l’ordre ont vidé un vaste campement de migrants et retourné toutes leurs affaires, à la recherche, semble-t-il, de l’arme.

Extrêmement précaires

Père d’une fillette de 5 ans avec qui il voyage, Paul-Edouard vit avec sa femme et une trentaine de personnes dans une maison en chantier sans portes ni fenêtres. Comme eux, des milliers d’exilés se sont installés dans les environs d’El-Amra après avoir échappé aux violences anti-migrants au cours de l’été à Sfax ou amenés ici de force par les autorités. Des conditions de vie extrêmement précaires. « Je pleure à cause du froid entre ces quatre murs alors je n’imagine pas pour ceux qui dorment au pied des oliviers », souffle le Camerounais.

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(El-Hamaziah (Tunisie), envoyé spécial)

Source : Le Monde

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