Pour les joueurs de l’équipe palestinienne, « le football est la meilleure façon de mettre la Palestine sur la carte du monde »

Le MondeReportageA l’occasion de son premier match disputé depuis le début de la guerre, la sélection palestienne de football a affronté le Liban, jeudi 16 novembre. Les joueurs, dont deux sont gazaouis, courent pour défendre la cause de leur peuple, qui « souffre ».

 

La nuit enveloppe Chardja, vaste bande urbaine coincée entre la mer et le désert, dans le prolongement de Dubaï. Mais la chaleur n’a pas quitté l’endroit : l’automne, aux Emirats arabes unis, aurait, sous d’autres latitudes, un air d’été. Les luminaires du stade Khalid Bin Mohammed fendent le ciel obscur, des drapeaux claquent au vent et les gradins sont vides, l’endroit est calme. Il est bientôt 18 heures, ce jeudi 16 novembre, et l’on peine à croire que dans quelques minutes une rencontre entre le Liban et la Palestine, dans le cadre des qualifications pour le Mondial 2026 de la zone Asie, va débuter.

Pourtant, les arbitres, les onze joueurs palestiniens et leurs adversaires du jour ne tardent pas à s’avancer sur la pelouse. C’est officiellement le Liban qui reçoit, mais la guerre au Proche-Orient a poussé la FIFA à délocaliser le match dans le petit émirat de Chardja. Le protocole suit son cours : hymnes, serrages de main, échange de fanions. Il se termine avec les deux équipes réunies face à face dans le rond central et une annonce du speaker du stade. « Mesdames, messieurs, merci de vous lever et d’observer une minute de silence pour les victimes de la guerre, notamment à Gaza. »

Le stade retombe dans la quiétude, le temps de rendre hommage aux morts – environ 14 000 personnes, selon les chiffres fournis par le ministère de la santé administré par le Hamas, mercredi 22 novembre. L’instant rappelle que l’enjeu du soir, pour les Palestiniens, va bien au-delà du sport. « Ce match est très important pour nous, résume Mahmoud Wadi, l’avant-centre âgé de 28 ans. Nous devons gagner, c’est indispensable. Nous devons le faire parce que notre peuple en Palestine, en particulier à Gaza, souffre. Il faut faire quelque chose pour les aider, c’est ce qui est important pour nous. »

 

Le bruit de la guerre

 

Du haut de son mètre quatre-vingt-huit, le grand brun, parfois surnommé « la tour », n’en mène pas large. Natif de Khan Younès, dans le sud de Gaza, il est sans doute l’un des joueurs les plus affectés par la guerre : toute sa famille – sa mère, ses frères et sœurs – vit dans l’enclave palestinienne, pilonnée par l’armée israélienne en représailles aux attaques du Hamas du 7 octobre qui avaient provoqué la mort de 1 200 personnes, selon les autorités israéliennes. « Ils vont bien, mais je ne sais pas ce que le futur leur réserve », s’inquiète-t-il à la sortie de l’entraînement, la veille de la rencontre. Mahmoud Wadi tente régulièrement de joindre ses proches par téléphone. « Internet et l’électricité fonctionnent mal là-bas. Dès que j’en ai l’occasion, j’essaie de les appeler. »

Le bruit de la guerre, les angoisses nocturnes et la destruction ne lui sont que trop familiers. Il venait tout juste de fêter ses 14 ans quand une bombe israélienne est tombée sur Gaza, fin 2008, après le retrait israélien ; il avait 20 ans quand la guerre a éclaté, en 2014. Le conflit en cours a emporté certains de ses proches. « Beaucoup de footballeurs contre qui je jouais ont été tués. C’est vraiment très dur pour moi », avoue-t-il d’une voix émue. Membre du club égyptien Al Mokawloon Al Arab, Mahmoud Wadi réside habituellement dans les environs du Caire. Mais il espère bientôt aller voir les siens, à Gaza. « C’est ma maison, c’est mon pays. Tous mes souvenirs d’enfant sont là-bas, je ne sais pas s’il en restera quelque chose. »

 

Le Palestinien Zaid Qunbar face à l’équipe libanaise, à Chardja (Emirats arabes unis), le 16 novembre 2023.

 

L’autre joueur gazaoui du groupe, Mohammed Saleh, défenseur de 30 ans, se montre moins loquace. Depuis le hall de l’hôtel, une grande tour de métal et de verre posée sur le littoral émirati où les joueurs ont pris leurs quartiers, il assure ne pas être en état de parler à la presse. Pendu à son téléphone, il vogue d’une conversation WhatsApp à une autre pour maintenir le lien avec sa famille et sa femme. Il visionne vidéo sur vidéo pour se tenir informé, l’âme en peine, la tête ailleurs. « Ils sont dévastés psychologiquement, ils passent leur vie à regarder la télévision et les réseaux sociaux. Ils savent très bien qu’au moment où ils jouent il y a des gens chez eux qui sont tués », confie l’un des médecins de l’équipe, qui préfère taire son nom.

Mohammed Rashid, milieu de terrain âgé de 28 ans, a trouvé la technique pour offrir un peu de répit à ses coéquipiers gazaouis. « On essaie de les faire rire, de leur faire des blagues ; quand on les voit sourire, c’est déjà une petite victoire, explique-t-il. Nous savons à quel point ils souffrent en sachant que leur famille peut mourir à tout moment, alors nous faisons de notre mieux pour leur changer un peu les idées. »

 

 

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(Chardja (Emirats arabes unis), envoyé spécial)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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