
André Franquin (1924-1997), le père de Gaston Lagaffe.
– Rarement un album de bande dessinée aura fait couler autant d’encre avant sa parution. La sortie, mercredi 22 novembre, du Retour de Lagaffe (Dupuis), écrit et dessiné par l’auteur canadien Delaf, clôt un épisode judiciaire unique, d’une virulence inconciliable avec l’univers humoristique d’En donnant raison, le 30 mai, à la maison d’édition Dupuis (groupe Média-Participations), la justice belge avait entériné la renaissance de ce héros iconique du 9e art que tous les amateurs de BD croyaient éternellement condamné aux rayons patrimoniaux des bibliothèques. Revoici donc Gaston en librairie, plus de vingt-cinq ans après la mort de son créateur.
L’enjeu est colossal pour ses repreneurs, qui espèrent écouler 800 000 exemplaires de ce nouveau volume, le vingt-deuxième de la série. Jamais Dupuis n’avait déployé une telle mise en place, même aux grandes heures de Largo Winch. Additionné aux 2,3 millions de ventes attendues du nouvel Astérix – L’Iris blanc (éditions Albert René), sorti en octobre, une « reprise » également, signée Didier Conrad et Fabcaro –, le « score » du Lagaffe pourrait faire de 2023 une année record pour le marché de la bande dessinée. L’affaire n’est pas gagnée pour autant.
Retardé d’un an en raison du recours engagé par Isabelle Franquin, la fille et ayant droit d’André Franquin, le come-back du héros en espadrilles continue d’être vivement critiqué sur les réseaux sociaux par les opposants au projet, parmi lesquels se trouvent majoritairement des admirateurs du monstre sacré bruxellois.
Le refus de Franquin, pas si catégorique
Pour ceux-ci, reprendre Gaston relève du sacrilège. D’abord, parce que le trait de Franquin, d’une expressivité folle, ne peut supporter aucune imitation. Ensuite, parce que Gaston était un double fictionnel de son créateur, anar et écolo dans l’âme. Enfin, parce que Franquin a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas que Gaston lui survive.
Dans un argumentaire récemment publié sur son site, Dupuis affirme aujourd’hui que le refus de Franquin n’était pas si catégorique. La maison d’édition a retrouvé les bandes enregistrées de certaines interviews, qui, selon elle, n’auraient pas été retranscrites dans leur intégralité.
« Dans l’une d’entre elles, parmi les dernières interviews données dans sa vie, André Franquin annonce même chercher un repreneur et déclare possible une reprise prochaine de Gaston par un artiste qu’il vient d’approcher. Il voudrait que cette reprise se fasse dans la tradition de la transmission de maître à apprenti des ateliers de peintres, mais que l’artiste approché aurait pour le moment refusé », indique l’éditeur franco-belge, sans préciser l’identité de l’« artiste » en question, même si tout laisse penser qu’il s’agissait de Christian Debarre, alias Bar2, le père de Joe Bar Team, une série sur le thème de la moto.

Extrait du nouveau Gaston Lagaffe, « Le Retour de Lagaffe » (2023), de Delaf (Dupuis).
Aux spéculations sans fin sur la volonté d’un créateur aujourd’hui disparu, la sentence arbitrale prononcée il y a six mois a opposé une réponse assez claire, en autorisant Dupuis à publier une suite aux aventures de Gaston, en vertu d’un contrat de cession des droits d’exploitation que Franquin avait signé en 1992 au bénéfice d’un homme d’affaires dont il était proche, Jean-François Moyersoen. En 2013, seize ans après la mort de Franquin, celui-ci avait ensuite revendu sa propre société de droit monégasque, et les contrats afférents, à Média-Participations, propriétaire de Dupuis.
Dix années auront donc été nécessaires à la maison d’édition pour concrétiser le fantasme ultime : ressusciter Gaston. « Pourquoi les héros de bande dessinée qui occupent une place mythologique dans la culture européenne ne pourraient-ils pas perdurer, à l’image des super-héros américains, que reprennent à tour de rôle de grands artistes ? Pourquoi faudrait-il les condamner à l’oubli ? », lance Julien Papelier, le président de Dupuis.
Source :
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com