
Jeune Afrique – La Scala, salle de théâtre parisienne. Un petit bout de femme, sweat à capuche sur le dos, short ample et informe noyant sa silhouette, s’avance timidement sur la scène. Le plancher craque sous ses pas chancelants. Elle attend que le silence s’installe, s’assied, règle la sangle de sa guitare aux couleurs rastafari, égrène quelques accords, toussote dans sa manche bien trop large, sort de l’une de ses poches une set list, la dépose délicatement sur un tabouret en la défroissant d’un revers de main, puis sort, de son autre poche, un spray antibactérien qu’elle pulvérise sur son micro, non sans ironie. Des rires pudiques s’élèvent dans le public. Quand, soudain, une voix de velours, divine, enrobe l’espace et met fin à ce jeu de pantomime.
Transe quasi mystique
S’il fallait représenter le visage de la sobriété, celui-ci emprunterait les traits de Nneka. Pas de maquillage, rien de superflu. Seul un chèche « protecteur » coiffe sa chevelure bouclée. Privée de boissons alcoolisées dans la salle, l’assistance est médusée. L’ivresse ira se trouver ailleurs, quelque part dans la transe quasi mystique dans laquelle « la mère suprême » (traduction de son prénom, en igbo) nous transporte en cette soirée d’automne.
La spiritualité guide depuis toujours cette Germano-Nigériane, née il y a quarante-deux ans à Warri, « la ville du pétrole », située dans le Delta du Niger. Son dernier et sixième opus, « Love supreme » (2022), en témoignait déjà. Une bonne année plus tard, celle qui, il y a onze mois, a donné naissance à son premier enfant, qu’elle trimbale partout depuis le début de sa tournée européenne, n’a pas fini de conter l’amour inconditionnel et la foi.
« Dieu représente tout pour moi. On recherche tous la paix et le bonheur en dehors de nous-même, à travers la quête du succès, de l’argent, dans le désir d’avoir un bébé… On en veut toujours plus, et c’est éreintant. On oublie d’être dans la gratitude. Le monde est si bruyant, on a besoin de silence, philosophe-t-elle quand nous la retrouvons dans les bureaux parisiens de son agent, quelques jours après son show.
Partition panafricaine
Dissimuler l’enveloppe pour ne retenir que l’essentiel, les textes, qu’elle déclame en anglais pidgin ou en yoruba, « tout simplement parce que c’est [sa] langue », la voix et la musique. Cette partition panafricaine exquise puise autant dans la soul que dans le reggae, le blues et le R’n’B. « L’industrie [du disque] veut nous ranger dans des boîtes pour qu’on soit “vendables”. Je ressens parfois cette pression, mais je refuse souvent de m’y soumettre », prévient-elle.
Si, en effet, elle se moque des chiffres et des streams, elle ne s’en dit pas moins extrêmement fière de voir des musiciens nigérians, comme Burna Boy, avec qui elle a déjà partagé la scène, acquérir une audience mondiale.
Eva Sauphie
Source : Jeune Afrique (Le 04 novembre 2023)
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