En Afrique de l’Ouest, la France désavouée par les opinions publiques

Récit - « France-Afrique, la cassure » (1/3). Le rejet de l’influence française s’est peu à peu installé au sein des populations d’Afrique de l’Ouest, au point de faire de l’ancien colonisateur le coupable de l’ensemble des maux de la région.

Le Monde – C’est devenu un air à la mode, même à Libreville, la capitale plutôt francophile du Gabon. « Français, rentrez chez vous ! » Le slogan fuse, ce lundi 4 septembre. Il est lancé à la volée à l’attention de quelques journalistes par une poignée de personnes réunies devant le palais du Bord de mer, siège de la présidence de la République.

Au même moment, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, nouvel homme fort du pays, prête serment comme président du Comité pour la transition et la restauration des institutions. Celui qui commandait la garde républicaine a déposé, trois jours plus tôt, le chef de l’Etat en exercice, Ali Bongo Ondimba, héritier du pouvoir à la mort de son père, Omar Bongo Ondimba. Dans les faits, l’officier supérieur a mis fin à cinquante-six ans de pouvoir familial et, dans les imaginaires, à presque autant d’années de connivences avec la France.

A Libreville, aucun parti politique n’instrumentalise (encore) ce sentiment antifrançais qui bouillonne ailleurs en Afrique. « Mais c’est à fleur de peau, confie un diplomate français, il vaut donc mieux faire profil bas. » Paris se contente du minimum. Condamnation du coup d’Etat, sans trop en dire, appel au retour à l’ordre constitutionnel, aucun conseil sur la durée ou le contenu de la transition. Surtout pas de vague. Ici, le désamour de la France s’est installé progressivement depuis la fin du « règne » du patriarche et autocrate Omar Bongo, en 2009, sans éruption de haine.

Dans d’autres capitales africaines, en revanche, le ressentiment est vif. De Bamako à Kinshasa, de Dakar à N’Djamena, dans les limites de l’ancien pré carré français de ses anciennes colonies, ou de l’espace francophone (comme en République démocratique du Congo), un faisceau de raisons complexes explique la perte d’influence française, pouvant aller jusqu’au rejet. Vécu à des intensités diverses, ce long processus s’est amorcé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il s’est stratifié avec les indépendances des années 1960, puis renforcé à la fin de la guerre froide. Dorénavant, dirigeants et opinions publiques africains l’expriment de plus en plus bruyamment.

Au Gabon, le ressentiment est notamment d’ordre politique, nourri par un passé chargé et entretenu par des maladresses nouvelles. En mars, à Libreville, lorsque Emmanuel Macron participe au One Forest Summit consacré à la préservation du bassin du fleuve Congo, il est immédiatement suspecté par une partie de la société civile et de l’opposition d’avoir fait le déplacement pour soutenir Ali Bongo Ondimba, candidat à un troisième mandat lors de la présidentielle, prévue le 20 août. Le scrutin s’annonce comme une mascarade. Le président gabonais, victime d’un grave accident vasculaire cérébral en 2018, n’apparaît pas en mesure d’occuper cette fonction. Emmanuel Macron n’est-il pas venu pour lui donner un coup de pouce ? Comme avant ?

 

Le poids de l’histoire

 

Si les Gabonais cultivent cette suspicion, c’est qu’ils se souviennent d’une autre époque. En 1964, les parachutistes français, armes à la main, sauvent la tête du président Léon Mba, menacé par un coup d’Etat de l’armée. Trois ans plus tard, ils placent sur le « trône républicain » Albert-Bernard Bongo, qui deviendra Omar Bongo Ondimba après sa conversion à l’islam, peu avant l’entrée de son pays dans l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, en 1975. A la tête d’une autocratie pétrolière construite en grande partie par Elf Aquitaine (future TotalEnergies), il avait financé bien des partis politiques français, tout particulièrement le RPR de Jacques Chirac, dans les années 1970 et 1980. Mais pas seulement. « Je ne nie pas avoir aidé les uns et les autres (…) comme j’en ai le droit, c’était mon argent à moi », reconnaissait-il dans le livre d’entretiens Blanc comme nègre (Grasset, 2001). A sa mort, en 2009, Paris adoube son fils Ali, successeur dynastique, déclaré vainqueur à l’issue d’un scrutin douteux. La France ne cille guère plus lors de sa réélection, en 2016. Scrutin frauduleux, de nouveau, ensanglanté par plusieurs dizaines de morts.

Le lien entre Libreville et Paris s’est effiloché au fil du temps. Comme un symbole, ce n’est pas en français, mais dans un anglais hésitant qu’Ali Bongo Ondimba, le regard vague, lance, le 30 août depuis son domicile, un appel à l’aide « aux amis du Gabon » pour le sauver du coup d’Etat commis quelques heures auparavant. Le même a fait entrer son pays dans le Commonwealth l’année précédente. Dans les couloirs et les alcôves du palais du Bord de mer, ce ne sont plus ni des anciens de Sciences Po Paris ou de Saint-Cyr ni des pétroliers français qui dirigent les affaires. Une « young team », telle que les Gabonais surnomment cette équipe menée par le fils du président, Noureddin, et composée de jeunes gens formés à Londres, a mis la main sur les affaires de l’Etat après l’AVC d’Ali Bongo Ondimba.

Certes, le camp militaire de Gaulle – qui héberge au cœur de la capitale depuis 1975 les « éléments français au Gabon » – compte encore quelque quatre cents militaires. Ils étaient mille deux cents à la fin des années 2000. Ils ne seront plus que deux cents à l’horizon 2024, chargés de former au combat en forêt tropicale des soldats du Gabon et d’autres pays de la région. Même les opposants gabonais ont pour habitude de faire un détour par le Quai d’Orsay au moment des élections.

Mais Paris le voudrait-il, il n’a plus les moyens de décider du résultat des élections gabonaises. Emmanuel Macron l’a reconnu à Libreville : « Notre histoire ici, au Gabon, c’est aussi celle de la “Françafrique” », autrement dit, celle des réseaux occultes et des connivences postcoloniales. Mais, selon lui, « cet âge est bien révolu ». A raison. Sauf que le poids de l’histoire demeure.

« La France a été trop complaisante »

 

Le Gabon est loin d’être la seule ancienne colonie où l’on reproche à la France d’avoir installé et-ou soutenu jusqu’au point de rupture des systèmes politiques basés sur un multipartisme de façade. Que dire de Paul Biya (90 ans), au pouvoir au Cameroun depuis 1982 ? De Denis Sassou-Nguesso, « roi élu » du Congo-Brazzaville depuis 1979 (avec une coupure de 1992 à 1997) ? De la valse des présidents centrafricains orchestrée par les services français ? Ou du Tchadien Idriss Déby Itno, tombé au front en avril 2021, mais sauvé plus d’une fois par des militaires français de rébellions menaçant son pouvoir brutal et clanique ? Et du Togo, dirigé depuis plus d’un demi-siècle par les Gnassingbé père et fils ?

« La France a été trop complaisante avec les fausses démocraties, les élections truquées, ça la rend impopulaire, juge un conseiller occulte de plusieurs présidences africaines. Comment Emmanuel Macron peut-il rendre visite aux autocrates d’un autre temps, comme Biya ou Sassou ? C’est destructeur pour l’image de la France. Ce n’est pas nouveau, mais auparavant Paris était au moins à l’écoute des opposants, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. »

En 2012, François Hollande avait promis de rompre avec cette complaisance. Dans le programme électoral du candidat socialiste, au 58e engagement, le seul consacré au continent africain, on peut lire : « Je romprai avec la “Françafrique”, en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité. » Peu de temps après son élection à la présidence de la République, il snobe ostensiblement les présidents rangés dans la catégorie des « mauvais démocrates », lors du Sommet de la francophonie organisé à Kinshasa. Il insiste sur le respect des droits humains et n’hésite pas à s’affranchir d’un certain nombre de principes recommandés par l’usage diplomatique envers ses hôtes pour marquer le début de cette nouvelle ère. Idriss Déby, autocrate tchadien arrivé au pouvoir par les armes et le soutien français vingt-deux ans plus tôt, en 1990, se fait alors porter pâle, prétextant un séjour déjà programmé en Guinée équatoriale. « Présider la République, c’est ne pas inviter les dictateurs en grand appareil à Paris », lance le président français.

Ces engagements n’ont pas tardé à se fracasser sur le mur de la géopolitique locale. En février 2013, quelques mois après les leçons de morale républicaine du président Hollande, la libération d’une famille de sept Français enlevés par Boko Haram dans le nord du Cameroun, près de la frontière nigériane, remet en selle Paul Biya. Au même moment, Denis Sassou-Nguesso devient incontournable pour le règlement de la crise en Centrafrique. Puis au Mali, l’appui des soldats tchadiens d’Idriss Déby est salutaire dans le cadre de l’opération antiterroriste française « Serval », lancée elle aussi début 2013.

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Source : Le Monde

 

 

 

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