Chéri Samba, peintre : « Je sais comment va finir mon tableau »

Dans un entretien au « Monde », l’artiste congolais revient sur son parcours et son processus de création, à l’occasion d’une rétrospective au Musée Maillol, à Paris.

Le Monde – A l’occasion d’une vaste exposition de ses œuvres, de 1981 à aujourd’hui, au Musée Maillol, à Paris, l’artiste congolais revient sur sa trajectoire personnelle, sa conception de l’art, ses méthodes de création et les messages qu’il transmet par l’image et par les mots.

En 1997, vous écrivez dans votre œuvre « Quel avenir pour notre art ? » : « Mais le Musée d’art moderne n’est-il pas raciste ? » Que pensez-vous aujourd’hui de la situation des artistes africains ?

Aujourd’hui, je pense que nous sommes acceptés. A cette époque, nous étions méconnus. A force de parler et de se plaindre, nous avons été écoutés par le monde. Désormais, toutes les portes sont ouvertes. Le processus a commencé quand nous avons pu parler de notre travail, avec l’aide de ceux qui ont compris qu’il y avait en Afrique des artistes qui étaient ignorés. Il y a eu Jean-François Bizot, que je tiens à citer le premier. En 1982, il m’a invité à venir à Paris et m’a publié dans Actuel. Puis André Magnin, qui m’a permis de participer à l’exposition « Magiciens de la Terre » à Paris en 1989, et Jean Pigozzi, qui y a vu mes tableaux pour la première fois. Ces trois-là ont vraiment travaillé à nous tirer de l’obscurité dans laquelle nous étions.

Auparavant, vous exposiez vos peintures devant votre atelier, à Kinshasa…

Pas seulement. J’ai commencé à exposer dans des lieux soi-disant appropriés, le Centre Wallonie Bruxelles, la salle des fêtes de l’ambassade de France, le Centre culturel français de Lubumbashi. C’est ainsi que ça se passait, même si je n’étais pas d’accord parce que je pensais que les expositions devaient se faire devant les gens, la masse, et pas dans les galeries, où vont les initiés. Quand je présentais mes tableaux, c’était dans la rue. Je sortais les tableaux sur le trottoir devant l’atelier et il y avait toujours des gens pour regarder et réagir. Je sortais discuter avec eux : ce partage m’a donné le courage de poursuivre.

Et vous a donné la réputation d’être un peintre populaire…

« Populaire » est un mot dont il faut se méfier car il peut être mal compris. Quand je l’employais alors, c’était dans un sens bien défini : présenter aux gens des choses dans lesquelles ils se reconnaissent au lieu de leur coder la compréhension. Il y avait dans l’art tous ces artistes, que je ne comprenais pas moi-même, dont il fallait expliquer ce que ça voulait dire, pourquoi, comment… Dans le populaire, à mon sens du mot, chacun voit ce dont il s’agit. Populaire ne veut pas dire facile, non réfléchi, ramassé au hasard. Je n’ai jamais travaillé ainsi, mais toujours de façon réfléchie.

Dès vos premiers tableaux des années 1970, il y a des messages à caractère politique ou moral adressés à tous vos contemporains. Comment réagissaient alors les autorités ?

Au temps du maréchal Mobutu, vers 1975, j’ai été traqué et arrêté parce que ce que je peignais déplaisait. Disons que j’ai eu des « ennuis » avec la police. Mais c’est fini depuis bien longtemps. Le temps n’est plus où on essayait de m’interdire de faire ce que je veux.

Quelle est la genèse d’une de vos œuvres ?

D’abord, je réfléchis à ce que je dois faire. J’ai déjà mon tableau fini dans mon cerveau quand je le commence. D’autres, paraît-il, quand ils commencent ne savent pas où ils vont. Moi, je sais comment va finir mon tableau. Je le peins d’abord en miniature, sur un petit format, tel qu’il sera. Ce n’est pas un croquis – un croquis, c’est trop vague –, mais l’œuvre elle-même. Ensuite, je filme cette miniature et je projette sur la toile de la dimension que j’ai décidée. Autrefois, je travaillais directement, sans cette préparation, mais j’ai voulu ensuite que la recherche soit déjà toute faite quand je commence à peindre l’œuvre finale. Bien sûr, il y a des modifications parce que, dans le petit tableau, il n’y a pas toujours tout. En l’agrandissant, je peux ajouter. Il y a aussi quelques toiles où j’ai introduit des collages, mais elles sont très peu nombreuses.

Et les textes ?

Et oui, les textes… C’est devenu comme une obligation, je ne peux pas finir le tableau sans qu’il y ait des textes. Ceux qui connaissent ma technique me disent, s’il n’y a pas de texte : « Ton tableau n’est pas fini, tu es obligé d’ajouter tes commentaires. » C’est ce que j’appelle la « griffe sambaïenne », mon style.

Comment la définissez-vous ?

J’ai trois soucis que j’essaie toujours de respecter. Le premier, c’est d’être fidèle à la réalité jusque dans les détails : si je représente une tasse, il faut que ce soit une tasse, pas une cuillère, mais vraiment une tasse. Mon deuxième souci, c’est de dire la vérité, et cette vérité-là, elle est dans les écrits. Si j’ajoute un petit mot de commentaire, là, je remplis mon devoir. Et le troisième, c’est d’essayer de faire un peu d’humour. On peut choquer les gens, mais s’il y a un peu d’humour, alors, ça passe : on accepte. J’aime qu’on sourie ou qu’on rie devant mes tableaux.

Lire la suite

 

 

 

Propos recueillis par

 

 

 

Source :  Le Monde – (Le 25 octobre 2023)

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page