Cette étrange lueur morte dans les yeux d’un jeune Gazaoui

 Orientxxi.info  Comment évoquer le conflit israélo-palestinien sans tomber dans les clichés, notamment en renvoyant dos à dos l’occupant et l’occupé ? Dans un texte aux tonalités littéraires, l’essayiste Camille Bogedone met en lumière l’injustice structurelle subie par les Palestiniens et la profonde asymétrie de ce conflit en donnant la parole à des habitants de Gaza et de Cisjordanie.

Quiconque a déjà vu cette étrange lueur morte qui brille dans les yeux d’un adolescent de Gaza, pourtant physiologiquement vivant, sait qu’il ou elle doit y réfléchir à deux fois avant de s’ériger en arbitre des bonnes et mauvaises méthodes de lutte des Palestiniennes.

Quiconque a déjà partagé le quotidien d’oppression, de mépris, de déshumanisation qui est celui des Palestiniennes depuis des décennies sait que l’humilité doit l’emporter sur les certitudes avant de juger de la pertinence et de la légitimité de telle ou telle action violente.

Quiconque a déjà écouté les récits des Palestiniennes, qu’il s’agisse des petites histoires ou de la grande histoire, sait que pour certaines qui sont nées quelque part, la violence armée n’est pas une option qui se discute mais un déjà-là qui façonne les vies, les corps et les esprits.

***

Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie que de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue1.

***

« Quand on tire des roquettes, vous parlez de nous »

« Où vas-tu comme ça ? Tu sais qu’on va bientôt manger.
– Je vais lancer des pierres sur les soldats, ils sont à côté du terrain de basket.
– Ne rentre pas trop tard… »

« C’est mon deuxième fils, lui aussi est en prison.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il est palestinien. »

« Mais pourquoi vous tirez des roquettes ? Vous savez très bien que vous ne gagnerez jamais militairement contre Israël.
– Au moins, quand on tire des roquettes, vous parlez de nous
2  ».

***

Cela fait une semaine que tout le monde a un avis sur ce que les Palestiniennes devraient faire — ou ne pas faire. Autant vous le dire, poliment mais fermement : les Palestiniennes se fichent de votre avis.

Ils et elles s’en fichent, déjà, car ils et elles ne l’entendent pas. Vous ne leur parlez pas, vous ne les regardez pas et, surtout, vous ne les écoutez pas. D’ailleurs si vous leur parliez, si vous les regardiez, si vous les écoutiez, vous auriez probablement un autre avis.

Question : es-tu prêt à entendre, considérer, voire suivre l’avis de Palestiniennes sur ce que devrait être la stratégie électorale de la gauche en France, en reconnaissant que leur avis sur cette question n’est pas moins pertinent et légitime que le tien sur leur lutte ?

***

Le langage de la force

Lui à qui on n’a jamais cessé de dire qu’il ne comprenait que le langage de la force décide de s’exprimer par la force. En fait, depuis toujours, le colon lui a signifié le chemin qui devait être le sien, s’il voulait se libérer. L’argument que choisit le colonisé lui a été indiqué par le colon et, par un ironique retour des choses, c’est le colonisé qui, maintenant, affirme que le colonialiste ne comprend que la force3.

***

« En tout cas demain je n’aurai pas classe.
– À cause du couvre-feu ?
– Non, les soldats ont pris l’école pour y mettre les gens qu’ils arrêtent dans le camp. »

« Et quand tu es sorti de prison, tu as réussi à rattraper le retard à la fac ?
– Même si j’avais continué d’étudier en prison, j’ai dû pas mal travailler en sortant mais oui, j’ai fini par le rattraper. Et là maintenant je prends de l’avance. Pour la prochaine fois où ils m’arrêteront. »

« Avec les roquettes, la vie doit aussi être dure à Sderot, à trois kilomètres en face de Gaza.
– Tu sais que Sderot a été construite sur les terres du village de Najd, d’où tous les Palestiniens ont été chassés en mai 1948 ? Ensuite, ils se sont réfugiés à Gaza, et ils y sont toujours. »

Lire la suite

Camille Bogedone

Essayiste.

Source : Orientxxi.info  

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page