Aïcha Béchir : « Les injonctions contre les Français musulmans sont non seulement blessantes, mais également absurdes »

La romancière estime, dans une tribune au « Monde », que les citoyens français de confession musulmane n’ont pas à s’excuser des crimes commis par le Hamas en Israël, car ils n’en sont pas responsables.

Le Monde  – Depuis le 7 octobre et les attaques terroristes du Hamas en Israël, des voix s’élèvent pour appeler les « musulmans » français – et leurs représentants patentés – à condamner la guerre de terreur menée au nom de la libération de la Palestine par un parti islamiste et nationaliste.

Pour ceux qu’elles montrent du doigt (« nous », les musulmans), de telles injonctions sont non seulement blessantes, mais également absurdes. Car, enfin, comment ce lien de causalité entre la pratique de l’islam et la défense du Hamas peut-il s’imposer comme une évidence dans le débat public en France ? A-t-on sommé les orthodoxes français de se désolidariser des crimes de l’armée russe commis sous la bénédiction nationaliste du patriarche de Moscou ?

Pour qui sait les entendre, de telles injonctions faites aux musulmans renvoient à un constat déjà formulé par Gérard Noiriel dans son livre A quoi sert « l’identité nationale » (Agone, 2007) : la convergence dans l’espace politico-médiatique, depuis les années 1980, de la figure menaçante du « musulman » (potentiel soutien du terrorisme islamiste), de l’« Arabe » (immigré volant le travail des Français) et du « jeune de banlieue » à la masculinité menaçante qui, tels les « apaches » dans le Paris de la Belle Epoque, nourrissent les fantasmes sécuritaires alimentés par certains médias.

Fantasmes sécuritaires

De là nous viennent, depuis quarante ans, les discours apeurés de ceux qui tirent les dividendes politiques et médiatiques de la peur d’une contagion islamiste sans avoir jamais vécu dans les « banlieues » et qui, aujourd’hui encore – et sans même leur avoir posé la question –, considèrent tous les jeunes Français « arabo-musulmans » comme de potentiels fourriers du Hamas. Il faudrait donc que les Français musulmans se désolidarisent du Hamas pour apaiser ce fantasme sécuritaire dont ils sont, depuis quatre décennies, les principales victimes.

C’est aussi à la lumière de ce fantasme que l’on peut relire, avec le recul, la Marche pour l’égalité et contre le racisme dénonçant les crimes racistes et les violences policières, en 1983, devenue, une fois digérée par la presse, la « Marche des beurs ». On peut se lamenter qu’une telle marche n’ait pas eu de réels effets sur les doctrines du maintien de l’ordre dans la police française ou, à l’inverse, se féliciter que la jeunesse maghrébine ait accédé en quelques mois à une visibilité médiatique nationale.

Mais on ne regrette pas suffisamment que cette marche et sa récupération politique – en construisant le personnage médiatique du « beur » – aient systématiquement réduit nos existences à une signification raciale et religieuse comme nos pères ouvriers et grévistes qui, dans les mêmes années, étaient accusés de faire le jeu de l’Iran théocratique quand ils manifestaient pour leur dignité dans les usines Citroën.

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Aïcha Béchir est professeure agrégée de philosophie et a écrit un premier roman, « L’Accusation » (JC Lattès, 208 p., 19 €)

 

 

 

 

Source : Le Monde – (Le 19 octobre 2023

 

 

 

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