Entre la France et le Maroc, des relations diplomatiques qui tournent à l’aigre

Le Monde  – Récit« France-Maroc, les lésions dangereuses » (1/3). « Le Monde » consacre une série d’articles au sujet des tensions entre les deux pays. Premier volet : les frictions dans la relation bilatérale, révélatrices des rapports médiocres qu’entretiennent le roi Mohammed VI et le président Emmanuel Macron.

L’heure n’est plus au constat du désamour, maintes fois dressé depuis environ deux ans. Elle est à l’interrogation anxieuse, à Rabat comme à Paris : jusqu’où cela ira-t-il ? Comment enrayer l’escalade de l’animosité entre les deux capitales, jadis unies dans un « partenariat d’exception », modèle de connivence postcoloniale ?

A chaque fois qu’un répit se dessine, l’acrimonie s’enflamme de plus belle. Avec son terrible bilan humain – environ 3 000 morts et 5 600 blessés –, le séisme qui a frappé le Haut Atlas, le 8 septembre, aurait dû, en toute logique, apaiser les esprits. Or, c’est le contraire qui s’est produit : le schisme s’est aggravé. Après la vague antifrançaise en Afrique de l’Ouest, le Maroc est-il le prochain domino sur la carte ?

« Pourquoi le roi Mohammed VI irrite tant l’Etat profond français », titrait, le 20 septembre, le journal en ligne Le 360 – proche du palais – dans une charge contre un traitement médiatique du séisme en France jugé « hystérique » et qui, à ses yeux, ne peut être que manigancé depuis l’Elysée. La France, pouvoir et médias confondus, chercherait ainsi à se venger du royaume pour son « indépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale », et notamment son choix « souverain » de n’avoir retenu l’offre d’assistance que de quatre Etats – Espagne, Royaume-Uni, Qatar et Emirats arabes unis – en ignorant Paris.

Au Maroc, certains débats télévisés parisiens aux étranges intitulés – « Le Maroc peut-il s’en sortir sans l’assistance de la France ? » – ont assurément choqué. La propagande du régime ne s’est pas privée d’exploiter ces accents paternalistes pour disqualifier l’ensemble de la presse française, décrite comme un bloc hostile (« une meute » « insultant » la monarchie marocaine), parce qu’elle s’interrogeait apparemment trop sur les retards des secours de la première journée, celle du 9 septembre, ou sur la réaction de Mohammed VI. Et quand Emmanuel Macron a souhaité que « les polémiques qui viennent diviser puissent se taire », il n’a fait, bien malgré lui, qu’envenimer la querelle. Son message vidéo maladroit, s’adressant « directement aux Marocains et aux Marocaines » – avec sous-titrage en arabe –, a été perçu comme une violation des usages protocolaires, « défiant le roi », ont fustigé les médias du royaume.

Qui eût imaginé qu’une catastrophe naturelle puisse déraper dans pareille aigreur ? Fallait-il que la relation franco-marocaine soit à ce point devenue une matière inflammable ? Le terrain bilatéral est-il si miné que chaque geste officiel ou chaque article de presse, objet d’une exégèse soupçonneuse, voire paranoïaque, à Rabat, relance un nouveau cycle de controverses comme dans une spirale infernale ?

Que s’est-il donc passé entre les deux capitales pour que le fameux 360, organe lié à Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi, radicalise, le 21 septembre, ses attaques personnelles contre M. Macron sous la forme d’un article titré « “Un peu homme, un peu femme”, mais il n’assume rien : qui est vraiment Emmanuel Macron ? », saturé d’allusions à une homosexualité présumée ?

Rares contacts officiels

Un autre, à la trivialité tout aussi scabreuse, suivra aussitôt sur la relation entre les présidents algérien et français : « Tebboune-Macron, un couple sado-maso ? ». Quelques jours plus tôt, l’hebdomadaire français L’Express avait publié un article sur « Mohammed VI, sa vie cachée en France ». La réplique est transparente. Œil pour œil, dent pour dent. On en est là.

Et qu’importe si la presse française n’écrit pas sous la dictée de l’Elysée : Rabat, où les médias sont muselés, feint de n’en rien croire et se persuade que M. Macron est à la manœuvre. « La grande manipulation téléguidée par l’entourage du roi en est marche », pointe Omar Brouksy, journaliste et professeur marocain de droit constitutionnel à l’université de Settat (Casablanca).

La crise est profonde, c’est un euphémisme. « Le fossé qui sépare les autorités françaises et marocaines se creuse et s’approfondit à vue d’œil », avertit Hespress, autre organe proche du palais, qui prévient que « les deux pays vont devoir gérer un long hiver dans leurs relations ».

Les températures sont, il est vrai, déjà polaires. Le Maroc n’a plus d’ambassadeur à Paris depuis le 19 janvier. La date ne doit rien au hasard. Ce jour-là, le Parlement européen, rompant avec des années de bienveillance à l’égard de Rabat, adoptait une résolution critiquant les atteintes à la liberté de la presse au Maroc. Le contexte était adverse pour le royaume chérifien alors que grondait depuis quelques semaines à Bruxelles le « Qatargate », aussitôt associé à un « Marocgate », scandales de corruption impliquant des eurodéputés et révélant la part d’ombre des stratégies d’influence des deux Etats.

Si l’affaire de la résolution européenne a été considérée à Rabat comme un coup bas de Paris, c’est que le texte a été porté, entre autres, par le groupe Renew, présidé par Stéphane Séjourné, proche d’Emmanuel Macron. Aux yeux des Marocains, la cause était entendue : l’Elysée conspire bel et bien contre leur pays. Les contacts officiels, dès lors, se raréfient, s’ils ne sont pas rompus.

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(Rabat, envoyé spécial)

 

Source : Le Monde

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