
Orientxxi.info – Malgré la hausse du nombre d’exécutions d’année en année et les campagnes de répression régulières, le prince héritier saoudien entend donner de son pays une image modernisatrice, notamment sur le plan sociétal. Si une réforme religieuse est dans les tuyaux dans l’optique de cette « modernisation » et pour garantir à Riyad son soft power islamique, un tel changement ne serait toutefois pas sans conséquences politiques.
Pour le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamed Ben Salman (MBS), la question n’est plus depuis longtemps de savoir si une réforme religieuse va bel et bien être mise en place dans son royaume, mais plutôt de savoir quand. Une telle initiative pourrait avoir des conséquences considérables sur le rôle qui sera encore dévolu à la religion en Arabie saoudite, et sur les rivalités en matière de soft power religieux dans les mondes musulmans.
Un récent sondage d’opinion du Washington Institute for Near East Policy (Winep)1 suggère que l’Arabie saoudite, longtemps dominée par un courant ultraconservateur de l’islam, est de plus en plus favorable à la modération religieuse et pourrait être plus ouverte à une réforme. Ainsi, 43 % des personnes interrogées estiment que les Saoudiens « devraient écouter ceux d’entre nous qui tentent d’interpréter l’islam dans un sens plus modéré, plus tolérant et plus moderne. »
Lorsqu’on leur avait posé la même question il y a quatre ans, ils n’étaient que 20 % à partager cette opinion. En même temps, le prince héritier pourrait se réjouir du fait que 78 % des personnes interrogées déclarent que « c’est une bonne chose qu’il n’y ait pas de manifestations de masse dans les rues », ce qui représente une forte augmentation par rapport aux 48 % de sondés qui étaient de cet avis lors de l’enquête réalisée en 2020.
Des réformes prudentes
Depuis son entrée en fonctions en 2015, MBS a voulu se donner une image de modernisateur en mettant en œuvre des réformes qui ont levé un certain nombre d’interdits et d’obligations pour les femmes (conduite, port du voile, etc.) et leur ont offert de nouvelles opportunités. De même, il a octroyé une plus grande liberté sociale aux jeunes, notamment à travers l’ouverture de salles de cinéma ou l’organisation de concerts de musique occidentale, qui ont contribué à diversifier l’économie.
Ces évolutions sont réelles, tant que ni les femmes ni les jeunes ne se mêlent de politique. Pour les mener à bien, le prince héritier a mis au pas l’establishment religieux conservateur et brisé de vieux tabous. Il a également réprimé brutalement les détracteurs du régime et les dissidents. Pourtant, et malgré toutes ses audaces, il n’a pas réussi à porter ses réformes jusque dans la loi religieuse, car il craint qu’un changement dans ce domaine ne constitue un pas de trop.
À l’occasion, il s’est bien gardé de présenter ses réformes comme visant à instaurer un islam « modéré », ce qui, explique-t-il « ferait le bonheur des terroristes et des extrémistes » parce qu’ils pourraient affirmer que « nous, en Arabie saoudite et dans d’autres pays musulmans, nous transformons l’islam en quelque chose de nouveau. Alors que ce n’est pas vrai. »2
Le prince héritier a utilisé un argument similaire pour justifier le maintien de l’interdiction des lieux de culte non musulmans dans le royaume qui abrite La Mecque et Médine, les deux villes les plus saintes de l’islam. L’Arabie saoudite est ainsi le seul État du Golfe à bannir tout culte non musulman en public. Interrogé par Joel C. Rosenberg, écrivain et militant évangélique américano-israélien3, MBS a déclaré qu’il ne lèverait pas l’interdiction de sitôt :
Je ne vais pas le faire, ni maintenant ni demain, parce que ce serait un cadeau pour Al-Qaida. Ils profiteraient de ce moment pour faire sauter les églises… Cela n’améliorerait pas la vie du peuple saoudien.
James M. Dorsey, journaliste et universitaire
Source : Orientxxi.info
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