Harouna Sow est chef cuisinier du restaurant Waalo qu’il a fondé à Paris et formateur à Refugee Food, une association participant à l’insertion des réfugiés par la restauration. D’origine mauritanienne, il réside au Mali avant d’arriver en France en 2012, où il sollicite et obtient l’asile.
Il découvre alors l’univers de la cuisine dans lequel il se professionnalise. Dans cette entrevue, il partage avec nous sa vision sur l’intégration par la cuisine, les difficultés qu’il a pu rencontrer et l’approche innovante de Refugee Food.
« En France l’intégration passe surtout par la culture gastronomique »
Pour Harouna Sow, la cuisine a été un moyen idéal de s’imprégner de la culture française et de ses patrimoines régionaux sans avoir à quitter Paris. « Derrière chaque produit il y a une histoire et derrière tout ça c’est l’histoire du pays qu’on découvre. Dans un restaurant à Paris, on découvre toute la France : Champagne-Ardenne, Auvergne et Périgord » explique-t-il.
Outre son immersion dans la société française grâce à la cuisine, le chef souhaite « montrer son bagage » culturel en intégrant des touches de ses origines ouest-africaines aux produits et au savoir-faire français. En résulte une gastronomie éthique : « Je ne vais pas aller chercher des produits dans les pays africains qui sont en crise alimentaire, je vais voir de quelle manière je peux intégrer les produits d’ici dans la culture africaine. » A titre d’exemple, il cuisine du carpaccio de patate douce. Ce féculent, qui pousse en France, se retrouve souvent consommé cru en Afrique de l’Ouest.
Travailler dans la restauration n’était toutefois pas une évidence : il a longuement hésité, compte tenu des mises en garde de son entourage sur ce domaine.
« Le plus difficile pour moi, c’est de voir que les conditions de travail à leur sortie de Refugee Food ne pourront jamais être les mêmes que ce qu’on leur propose »
Bien que la cuisine ait grandement contribué à l’apprentissage de la langue française pour le fondateur de Waalo, celle-ci a d’abord été un obstacle important, notamment pour le vocabulaire technique, spécifique à la restauration. Par ailleurs, ce milieu est difficilement conciliable avec le quotidien des demandeurs d’asile et des réfugiés marqué par des nombreux rendez-vous administratifs et une charge de procédures liées à l’emploi, éléments que les employeurs ont du mal à prendre en compte. Dans ce contexte, la professionnalisation et l’évolution des personnes étrangères dans ce secteur est relativement faible tandis que les conditions de travail auxquelles font face les réfugiés dans ce domaine sont souvent précaires.
L’association est d’abord née d’un festival mettant à l’honneur le rôle des réfugiés dans la restauration, ayant lieu tous les ans du 6 au 26 juin dans 12 villes françaises et à Genève. Refugee Food s’est ensuite dotée d’un restaurant, la Résidence, qui offre une carte variée et des plats de saison, et d’un traiteur à destination des entreprises parisiennes. En réponse à la crise du Covid, Harouna Sow et les fondateurs de Refugee Food ont mis en place une activité d’aide alimentaire. Maintenue et développée, elle vient encore en aide aux personnes dans le besoin, grâce à plus de 200 000 repas de qualités produits depuis 2020.
Refugee Food quant à elle contribue à l’insertion des réfugiés tout en garantissant de bonnes conditions de travail et en offrant des formations entièrement gratuites. Le chef soutient que « dans les cuisines du Refugee Food, les salariés font 35 heures, s’ils font plus de 35 heures, leurs heures supplémentaires sont correctement rémunérées ! ». Mais le succès de Refugee Food réside principalement dans son horizontalité.
La participation de réfugiés aux projets de l’association, en tant que formateurs ou chefs, permet aux salariés en insertion de travailler avec des interlocuteurs qui comprennent leur parcours et leurs difficultés. « Ce qui fait la différence c’est que les formateurs sont réfugiés. […] On parle le même langage, on a le même parcours. » explique Harouna Sow.
De fait, cette approche permet une insertion professionnelle effective, avec 75% des salariés en insertion qui trouvent un emploi dans les 6 mois suivant la formation, ainsi que la création de liens personnels forts entre les employés et leur formateur. Aussi, le chef décrit son travail comme gratifiant et émouvant : « On peut y entendre »chef, j’ai réussi à signer un CDI dans telle maison », »merci, j’ai eu mes contrats », »merci pour vos conseils, je suis hébergé avec une personne et c’est moi qui ai cuisiné ». » Néanmoins, l’approche adoptée par Refugee Food demeure marginale dans ce secteur en dépit de son efficacité.
« Le rôle que l’on doit avoir ce n’est pas d’être consulté, c’est d’être contributif. »
Lorsqu’on interroge Harouna Sow sur des mesures censées contribuer à l’insertion professionnelle des personnes migrantes, il souligne leur caractère parfois inadapté. Par exemple, bien que la création d’un titre de séjour pour les métiers en tensions comporte des aspects positifs, selon le chef, elle n’apporte pas de réponse efficace à la lenteur administrative, pourtant pierre angulaire des difficultés d’autonomisation. Plutôt qu’être consultées a posteriori, les personnes migrantes et les associations, en première ligne sur ces sujets, peuvent mettre en lumière les difficultés liées à l’accueil et être à l’origine des solutions y répondant.
En ce sens, la contribution de ces acteurs plus que leur simple consultation est essentielle en matière de politique d’intégration. Et au chef de conclure : « Les personnes exilées viennent avec leur valises pleines d’idées, des valises inexploitées. Il faut les accueillir et leur donner ce à quoi ils ont le droit, le plus rapidement possible. Car plus on donne vite, plus vite ils s’intègrent. »
Source : France Terre d’Asile – Le 15/06/2023
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