Sénégal – Symbole de la résistance des femmes : Nder, dans les méandres de l’oubli

Le Soleil  – Situé au fin fond du département de Dagana, le village de Nder est inscrit en lettres d’or dans l’histoire du Sénégal grâce à l’épopée des femmes qui se sont consumées par le feu dans une case pour échapper à la captivité des Maures Trarza. Plus de 200 ans plus tard, l’usure a eu raison des stigmates de la bataille de Nder et donc du sacrifice de ces héroïnes. L’ancienne capitale du Walo n’a que son aura tant la localité est dépourvue d’infrastructures. Ce qui n’enlève en rien la fierté des femmes de Nder, reconnaissantes de leurs aïeules héroïnes qui ont forgé en elles, le culte du travail mais aussi le sens de la personnalité.  

 

« Talatay Nder ! » Ces deux mots dépassent largement les frontières du Sénégal. Ils rappellent la mort collective de braves femmes de cette contrée enfouie au cœur du Walo. En 1820, elles ont préféré s’immoler par le feu dans une case pour échapper à la captivité des Maures Trarza. Par cet acte de bravoure, ces femmes, avec à leur tête la « Linguère » Fatim Yamar Khouraye, épouse du « Brack », ont honoré Nder et le Sénégal tout entier. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette belle épopée. Aujourd’hui, dans ce village, la vie est calme, morose. Et un visiteur qui y met les pieds pour la première fois aura du mal à croire que ce village a marqué l’histoire du Walo, du Sénégal. Et de fort belle manière !

Perdu dans le fin fond du Walo, le village de Nder, ressemble à un mirage au milieu d’un désert. Aucun panneau n’indique la position de cette ancienne capitale du Walo. Y accéder relève d’un exercice délicat tellement la piste est cabossée. Le corridor latéritique est rouge par endroit, sablonneux au niveau des virages. Il s’élance sur près de 17 kilomètres à partir du bitume qui s’arrête au village de Colonat. Avec la pluie de la veille, des nids-de-poule jonchent la route sur cette terre argileuse. Le paysage est verdoyant, décoré de cours d’eau verts avec des hameaux disparates et des champs.

Après plusieurs minutes de manœuvre, Nder se dévoile enfin. Le visiteur est frappé par les grandes concessions, la succession de cases, de quelques maisons en dur. Au milieu des cours, le sol est bien tamisé et des tentes en paille servent de cuisine.

Une case en forme de musée, pas encore fonctionnelle, des concessions en bois, une pauvreté extrême… En nous rendant au site où les femmes de Nder se sont donné la mort il y a 203 ans, notre attention est attirée par un groupe de femmes autour d’une borne fontaine. Des bouteilles d’huile vides de 20 litres et des seaux sont disposés sur les lieux. En voyant le photographe prendre des images, les femmes se pressent pour décrire leur calvaire, mais refusent de parler devant le micro. « Vraiment nous sommes fatiguées de venir acheter de l’eau tous les jours », lâchent-elles, la mine dépitée. « Vous avez tous entendu parler de Nder avant d’y venir. Certainement vous êtes surpris de trouver la localité dans cette situation malgré toute son aura. Même s’il y a quelques avancées, le village devait avoir un autre visage, mais, il n’y aucune trace de développement ici », confie Mamadou Thioye, notable qui connaît par cœur l’histoire du village.

Une dame embouche la même trompette sur un ton bourru : « on dirait que l’effort de ces ancêtres guerrières n’est pas récompensé ». « Vous voyez ce que nous vivons par vous-mêmes, je ne peux pas parler. Il faut s’adresser aux autres », dit la gérante de la borne fontaine qui était en train de remplir un seau avec un tuyau.

Prétextant qu’elle n’habite plus Nder depuis son mariage, Issère Thioye, venue en vacances chez ses parents, se résigne à être la porte-parole du moment, après quelques moments d’hésitation. La jeune dame regrette le statut de la localité où tant de femmes se sont sacrifiées. « Les femmes de Nder ne méritent pas une telle peine au regard du rôle qu’elles ont joué dans l’histoire. Elles sont mortes pour ce terroir, mais regardez où nous en sommes aujourd’hui. Nous avons énormément de difficultés, mais la pire  c’est avec l’eau. Il n’y a pas de branchements sociaux dans les maisons. Il n’y a que deux fontaines. Nous sommes obligées d’acheter l’eau tous les jours. La bouteille nous revient à 20 FCfa et le seau à 10 FCfa », confie-t-elle sous les acquiescements des autres dames.

Alors qu’elle échangeait avec nous, une vieille dame, marchant difficilement, arrive avec trois bouteilles sous l’aisselle droite et une quatrième à la main droite. « Je suis malade depuis plusieurs jours, mais je suis obligée de venir chercher de l’eau moi-même, sinon je n’en aurais pas, car je n’ai personne pour m’aider », dit-elle. Le même spectacle s’offre à la seconde borne fontaine.

Pendant que des femmes cherchent le liquide précieux, un groupe d’hommes assis sur une natte discutent à quelques encablures. Parmi eux, le chef du village. Casquette vissée sur la tête, lunettes noires, Abdoulaye Diaw, briefé par Issère Thioye, prend congé de ses compagnons et se dirige vers nous. Informé de l’objet de la visite, il enfile une veste sur son tee-shirt malgré la chaleur accablante pour nous conduire au site où a eu lieu le sacrifice mémorable. Un musée y est érigé.

Un musée sous forme de case

Le musée contraste bien avec le reste du village. Il est construit sur une grande surface. Clôturé par un mur, à l’intérieur, un tapis de sol herbacé, rabougri par certains endroits et parsemé de cram-cram, des touffes d’herbes et des arbres plantent le décor. Au beau milieu du site, deux bâtiments y sont érigés de part et d’autre. L’un peint en marron tabac et beige a un toit sous la forme d’une case recouverte de chaume. Il est construit par le ministère du Tourisme et l’autre par le département de l’Environnement, explique Abdoulaye Diaw.

Selon le chef de village, rien n’a été fait depuis l’érection du bâtiment. « De temps en temps, des visiteurs passent pour prendre des photos mais il n’y a aucune activité pour le moment car, il reste des travaux de finition et il n’a pas encore été inauguré. Juste après la construction, la pandémie de la Covid-19 est survenue », explique M. Diaw qui renseigne qu’auparavant le site était un vestige. « Je me rappelle, lorsque nous étions beaucoup plus jeunes, des Mauritaniens venaient y ramasser des perles en cornaline (pémé), des pipes et autres », se remémore l’homme qui avoisine la quarantaine.

Il se réjouit quand même du bâtiment, symbole de l’histoire. Car, auparavant l’histoire de Nder était un tabou. « Avec l’islam, nos grands parents ne voulaient pas en parler car ils considèrent l’acte des femmes comme un suicide. Et l’islam prohibe le suicide », confie M. Diaw, heureux que les mentalités aient évolué.

Lire la suite

Fatou SY & Babacar Guèye DIOP (Textes) et Moussa SOW (Photos)

Source : Le Soleil (Sénégal)

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page