Témoignages – “Pas une nuit sans coups de feu” : le quotidien de violence des collectivités arabes d’Israël

 Courrier internationalDepuis le début de l’année 2023, plus de 170 citoyens arabes israéliens ont péri sous les balles du crime organisé ou dans le cadre de vendettas. Le gouvernement faisant le dos rond, les collectivités locales arabes tentent de lancer une campagne de sensibilisation nationale, raconte ce journaliste du “Yediot Aharonot”.

Il y a cinq ans, lorsque Khaled Hujeirat a été élu à la tête du conseil local de Bir Al-Maksur [une bourgade de 10 000 habitants issus de la tribu bédouine des Hujeirat], en Basse-Galilée, il comptait réaliser un rêve tout simple. “Il n’y avait jamais eu de plaine de jeux dans notre village. Lors de ma prise de fonctions, je voulais avant tout que mes administrés et leurs enfants ne soient plus obligés de se rendre dans les plaines de jeux de Kiryat Ata ou Kiryat Bialik [deux banlieues juives populaires de Haïfa].” Il a alors débloqué un budget et aménagé un parc public aux normes proches de celles pratiquées dans les localités juives.

Du rêve au cauchemar

Hujeirat n’aurait pu imaginer que ce rêve tourne au cauchemar pour lui et pour les habitants de Bir Al-Maksur. En janvier 2022, un enfant de 4 ans, Ammar Hujeirat, était venu se divertir dans le parc en compagnie de sa famille. D’une voix brisée, son père, Muhammad, raconte. “Je lui avais offert un petit vélo et il adorait rouler jusque là-bas.” Mais, ce jour-là, un habitant de Nazareth [avec 80 000 habitants, cette ville est la “capitale” des autochtones palestiniens citoyens d’Israël], âgé de 24 ans, membre d’une famille d’entrepreneurs en bâtiment et armé d’un M16, est arrivé dans la bourgade et a tiré plusieurs rafales sur un camion garé dans une rue adjacente et appartenant à un entrepreneur concurrent.

Au total, 55 balles ont été tirées, en plein jour et au cœur d’un quartier résidentiel. L’une des balles a mortellement transpercé la gorge de l’enfant. “Ammar a été tué là où il était censé se sentir le plus en sécurité, raconte le maire, ‘mon’ parc d’attractions est devenu un piège mortel.”

Loin d’être isolé, ce drame illustre tristement une réalité à laquelle la plupart des élus locaux arabes sont confrontés. À l’initiative de Yediot Aharonot et dans le contexte d’une épidémie de violence sans précédent et d’un nombre croissant d’assassinats, quatre d’entre eux ont accepté de discuter ouvertement de la criminalité effrénée qui ensanglante le secteur arabe.

Outre Khaled Hujeirat de Bir Al-Maksur, on trouve l’avocat Mudar Yunes, maire de la ville d’Ar’ara (26 000 habitants), Samir Mahamid, maire de la ville d’Umm El-Fahm (59 000 habitants), et Salim Salibi, chef du conseil local de Majd Al-Krum (16 000 habitants).

Ces quinquagénaires, hautement qualifiés, appartiennent à une nouvelle génération de dirigeants engagés dans une politique locale centrée sur l’amélioration des conditions de vie de leurs communautés et plus seulement sur les revendications nationales de la minorité arabe [qui représente 20 % de la population d’Israël].

En prenant leurs fonctions, ils s’étaient donné pour objectifs de “rattraper” la société juive dans les domaines de l’éducation, des loisirs, de la culture et de l’aménagement territorial.

 

Prolifération des armes

 

Cependant, l’élan de Samir Mahamid (maire d’Umm El-Fahm) et de ses confrères a été rapidement brisé par la nécessité de faire face à une violence devenue endémique. “Dans la société juive, le chef d’une collectivité locale a le loisir de se concentrer sur l’intérêt de ses administrés alors que, dans la société arabe, son confrère est obligé d’éteindre des incendies”, affirme-t-il.

“Tout dirigeant d’une collectivité arabe est monopolisé par la lutte contre le chaos et la violence”, confirme en soupirant Mudar Yunes, également président du Comité national des autorités locales arabes d’Israël, lequel rassemble 67 localités, du Néguev [Sud] à la Galilée [Nord]. “Il y a de plus en plus d’armes en circulation et, avec le trafic de drogue et le racket, de plus en plus d’argent facile pour les jeunes. Ces derniers sont d’autant plus aisément recrutés par les organisations criminelles que l’on a échoué à offrir des réponses aux lacunes du système éducatif et du marché de l’emploi.”

Ceux qui pâtissent le plus de cette situation sont évidemment les simples citoyens. Les quatre édiles locaux que Yediot Aharonot a rencontrés ont tenu à venir accompagnés de chefs de famille endeuillées par la vague de criminalité. Ce qui domine, à côté de la tristesse et de la frustration, c’est la colère.

La comédienne Kifah Aghbariya, citoyenne d’Umm El-Fahm, énumère des chiffres glaçants. “Ces quatre dernières années, sept membres de ma famille ont été assassinés, laissant derrière eux 28 orphelins de père, et les meurtriers courent toujours.” L’un des membres les plus éminents de la famille Aghbariya à être tombé sous les balles est le journaliste indépendant Nidal Aghbariya, exécuté dans sa voiture en septembre 2022, devant son domicile.
Il enquêtait précisément sur le crime organisé qui gangrène le secteur arabe.

“Les orphelins me demandent : ’À l’école, pourquoi nos copains ont-ils un père et pas nous ?’ Je ne sais quoi leur répondre”, poursuit Kifah.

“L’État d’Israël sait comment combattre les organisations terroristes à Gaza, mais pas de vulgaires organisations criminelles qui sévissent à côté de chez moi.”

Entre deux crises de larmes, Muhammad Hujeirat, le père du petit Ammar, hurle soudain à l’adresse des quatre responsables arabes : “Il n’y a que vous qui puissiez lutter contre cette violence. Arrêtez vos discours et faites quelque chose !”

 

 

 

 

 

 

Yediot Aharonot (Rishon Lezion)

Créé en 1939, le quotidien “Les Dernières Informations” marie un certain sensationnalisme à un journalisme d’investigation et à des débats passionnés.

 

 

Source : Courrier international

 

 

 

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