« France au revoir » : quand les objets du quotidien racontent les relations Afrique-France

The Conversation  « France au revoir ». Étonnamment, cette expression, courante en Côte d’Ivoire comme au Burkina Faso, ne signifie pas que la France doit être « reconduite à la frontière », contrairement à ce que le contexte actuel pourrait laisser entendre au vu des diverses crises qui secouent le continent.

Non sans ironie, elle traduit le point de vue de ces objets que, à Ouagadougou comme à Abidjan (Côte d’Ivoire), on appelle ainsi : « France au revoir ». Comme si ces objets pouvaient parler et adresser une salutation cordiale à la nation française… tout en quittant son sol.

 

Étalage de « France au revoir » dans une rue de Locodjoro, 6 janvier 2023. P.Fornasetti, Author provided (no reuse)

« Derrière l’eau »

 

Voitures, télévisions, réfrigérateurs, vêtements, radios, machines à laver, ordinateurs, batteries… Achetés ou récupérés par la diaspora ouest-africaine en Europe, ces biens traversent les mers par container, atteignent les marchés puis les maisons, d’Afrique de l’Ouest. Une nouvelle vie commence alors : celle du « France au revoir ».

Or, malgré ce nouveau nom, leur provenance n’est que rarement française. Ils peuvent venir d’Italie, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique… voire de Singapour. La référence à la France est métonymique, elle est là pour désigner l’Europe, l’Occident : cet espace que le parler populaire ivoirien nomme « derrière l’eau », ou Bengué en nouchi (l’argot d’Abidjan).

Mes interlocuteurs expliquent cette métonymie par le rôle que l’ancienne puissance coloniale a joué dans l’accès des Africains à certains produits. On pourrait alors penser que l’engouement ivoirien pour les « France au revoir » n’est que la trace d’un rapport de domination. On aurait tort. Cette idée n’a bien entendu pas manqué de circuler, notamment dans le sillage d’intellectuels anti-impérialistes comme les théoriciens de la « dépendance ».

D’après eux, l’importation ou l’imitation de styles de vie occidentaux serait la traduction idéologique de la dépendance économique des sociétés colonisées. On retrouve aujourd’hui cette idée dans certains usages de la notion de néo-colonialisme et dans le débat sur l’impact écologique du marché de seconde main en Afrique qui a contribué à la promulgation d’une loi très débattue en Côte d’Ivoire.

Pourtant, il est possible de penser autrement, en cessant, pour paraphraser Marshall Sahlins, de voir des Blancs derrière tout ce que font les Africains.

 

Made in France ?

 

Produits industriels, mais d’occasion, les « France au revoir » se distinguent notamment des produits dits « chinois » que l’on achète neufs. Objets prestigieux, la présence d’un label peut contribuer à les rendre attractifs même si, une fois achetés, ils exigent souvent d’être réparés ou adaptés. Vendus comme des produits de qualité à prix avantageux, on les trouve aussi bien dans les marchés populaires d’Abidjan que chez des revendeurs spécialisés.

 

Mixeurs « France au revoir » exposés dans une boutique du marché des « non testés » de Bracody, Adjamé. 16 janvier 2023. P.Fornasetti, Author provided (no reuse)

 

Ici, le qualificatif français est globalement positif. Pourtant, lorsque je demande à mes interlocuteurs « Pourquoi le « France au revoir » est-il « français » ? », ils insistent à l’unanimité sur le rôle du colonisateur :

« C’est certainement en relation avec la colonie, le pays colonisateur. À l’époque, si t’es francophone d’Afrique, ta première référence est la France. Donc, tout ce qui venait de derrière l’eau était assimilé à ce qui vient de la France, peu importe la marque. » (Ancien enseignant, retraité, 220 logements, Adjamé, 11 janvier 2023)

La provenance géographique du « France au revoir » importe peu aux consommateurs. Le qualificatif français est, plutôt, associé à une forme d’authenticité qui prime sur l’aspect géographique :

« C’est parce que c’est des pièces d’origine, c’est pas de la contrefaçon, c’est solide. C’est plus solide même que les pièces que tu prends dans les magasins là. » (Assistant mécanicien I, 220 logements, Adjamé, 11 janvier 2023)

 

Ce qui intéresse les consommateurs n’est donc pas l’origine géographique des objets mais leur qualité d’usage, le fait qu’ils soient « costauds » ou « solides ». On est loin de la valorisation du produit du terroir, de la filière courte ou du « local » que nous voyons mise en avant partout en Europe (y compris dans la grande distribution). Si le « France au revoir » n’est pas « français » pour des raisons géographiques, cette appellation résulte peut-être de son histoire.

Les ancêtres du « France au revoir »

Les objets de provenance européenne ont une longue histoire en Afrique subsaharienne, qui remonte à une époque antérieure au partage colonial, au moins aux commerces induits par les deux traites : transsaharienne et atlantique. Ces circulations anciennes ne sont toutefois pas prises en compte par mes interlocuteurs ivoiriens dans leurs définitions du « France au revoir ».

D’après eux, les premiers dateraient de la fin de la période coloniale, de l’époque où la figure de l’« évolué », le fonctionnaire, ayant étudié à « l’école des Blancs » et recevant un salaire, représentait le modèle de la réussite personnelle. Les attributs de cette figure emblématique étaient alors ceux d’un style de vie à l’occidentale : voiture, radio, téléphone. Mais, là aussi, le label de « France au revoir » répondait souvent à des exigences concrètes, et non à une simple fascination pour l’Occident.

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Source : The Conversation 

 

 

 

 

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