Les sanctions, une arme à double tranchant au Sahel

Afrique XXI  – Analyse · Mali, Burkina et maintenant Niger : après chaque coup d’État, la réponse de la Cedeao et d’une partie de la communauté internationale a été de sanctionner (plus ou moins durement) ces pays. Mais ces mesures qui, loin d’être individualisées, touchent l’ensemble des populations, sont-elles vraiment efficaces ? Et d’abord, sont-elles légales ?

Au Sahel, l’imposition de « sanctions » s’est considérablement accrue ces derniers mois. N’importe quel observateur avisé est désormais familier avec le vocabulaire technique et si spécifique de ceux qui les imposent : gel des avoirs, travel ban, embargo… Au Niger, dernier exemple en date, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a brandi puis exécuté la menace de sanctions massives, à peine quelques jours après le début du coup d’État mené par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).

Derrière cette arme économique et politique se cache une réalité multiforme et complexe. Il faut en effet distinguer les mesures individuelles et ciblées des sanctions plus générales touchant un pays tout entier et l’ensemble de son économie. Il faut aussi distinguer les mesures imposées par l’ONU, telles que prévues par la Charte des Nations unies, de celles imposées de manière unilatérale par des États ou par des groupes d’États.

Enfin, les motivations et les justifications qui sous-tendent l’application des sanctions dans la région sont variées, allant de la lutte contre le terrorisme à la promotion des droits de l’homme, en passant par la condamnation des coups d’État.

 

Un vieil outil de politique étrangère

 

Pour mieux comprendre pourquoi et comment les sanctions sont devenues un nouveau réflexe de politique étrangère, revenons brièvement sur leur histoire. Des travaux riches existent sur le sujet1, et situent l’invention contemporaine des sanctions au carrefour des XIXe et XXe siècles.

Nicholas Mulder explique que l’intensification des échanges économiques internationaux à cette époque a fait émerger l’opportunité d’utiliser une nouvelle « arme » consistant à restreindre les relations économiques d’un État pour le contraindre à changer de comportement. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les sanctions furent alors pensées comme un formidable outil de dissuasion pour empêcher la survenue de nouveaux conflits. Dans cette logique, la menace d’un embargo total, « pire que la guerre », devait convaincre tout dirigeant de renoncer à l’usage de la force2.

Bien qu’elles aient été inefficaces face à l’Allemagne nazie ou à l’Italie de Mussolini à l’occasion de l’invasion de l’Éthiopie, ce type de sanctions fut conservé dans le système onusien conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec un rôle central donné au Conseil de sécurité.

Si les logiques de blocs prévalant durant la Guerre froide ont limité leur utilisation (à l’exception des mesures visant les régimes racistes de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie du Sud), la chute de l’URSS a ouvert la voie à un recours massif aux sanctions par le Conseil de sécurité dans les années 1990, parfois appelées « la décennie des sanctions »3. En Irak, en Haïti ou en Angola, des embargos ont été mis en œuvre durant plusieurs années afin de faire plier les dirigeants en place, provoquant des conséquences humanitaires désastreuses pour les populations, confrontées à l’absence de médicaments ou de produits de première nécessité4. C’est pourquoi le Conseil de sécurité a rapidement abandonné l’imposition de sanctions générales contre des États et des populations dans leur ensemble, au profit de mesures individualisées et ciblées.

 

Des sanctions ciblées, vraiment ?

 

Depuis une dizaine d’années, nous observons une multiplication des mesures de sanctions à travers le monde. Bien qu’elles soient présentées comme ciblées, celles-ci tendent à provoquer des effets négatifs sur l’ensemble des populations des pays concernés, et perdent ainsi leur caractère « individualisé ». Trois tendances majeures revêtent une pertinence particulière dans le contexte sahélien. La première concerne le développement des régimes de sanctions visant des organisations désignées comme « terroristes ».

Au Sahel, tous les groupes armés affiliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique ont été progressivement sanctionnés par l’ONU, ainsi que plusieurs de leurs dirigeants (Iyad Ag Ghali ou Amadou Koufa, par exemple). Ces régimes de sanctions punissent tout soutien à ces groupes et à leurs alliés. En visant des entités sans existence juridique, qui contrôlent parfois des territoires sur lesquels elles exercent leurs modes de gouvernance, ces sanctions peuvent provoquer des effets plus larges sur les populations qui y vivent, empêcher l’acheminement de l’aide humanitaire5 ou entraver les perspectives de paix et de médiation6.

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Julien Antouly

Julien Antouly est doctorant en droit international au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN, Université Paris-Nanterre)

Source : Afrique XXI 

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