Vanity Fair – Surtout, ne pas se laisser intimider. Regarder droit devant soi, franchir le grand portail noir sans trembler, éviter le regard des étudiants dont l’avenir semble écrit en lettres dorées depuis la tendre enfance.
Ce jour de septembre 2022, Imran, 24 ans, passe son entretien d’admission à Sciences Po Paris. Lui, le jeune réfugié soudanais bringuebalé d’un camp de migrants à l’autre depuis des années, affronte les questions des deux examinateurs. Pourquoi lui plus qu’un autre ? Qu’est-ce qui lui plaît dans le programme ?
Imran raconte son intérêt pour l’histoire de France, et aussi pour la finance, dont il pressent l’importance dans la marche du monde. Aucun pathos dans son récit. Sa naissance au Darfour, les massacres, l’exode, son arrivée dans le Sud, à Montpellier, sans famille ni personne, il les élude avec pudeur : « C’était la guerre, c’était compliqué. » Pas une phrase sur les récentes nuits passées dans les hébergements d’urgence du 115. Il parle avec assurance, précision, comme s’il fallait ranger les mots à la place qui leur incombait. Quand l’entretien s’achève, Imran a l’air optimiste. Il en est certain, sa vie va changer.
Redresser la trajectoire de vies fracassées par les conflits et les guerres, c’est l’une des raisons d’être du « certificat professionnel pour jeunes réfugiés » de Sciences Po, une formation diplômante de deux ans dispensée au sein de la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume. Il faut la rencontrer, cette promotion pas comme les autres, composée d’une vingtaine d’étudiants débarqués du Sahel subsaharien, de Syrie, d’Afghanistan et d’Ukraine, pour mesurer leur courage et la valeur de ce cursus.
Âgés de 18 à 36 ans, ils ont dû fuir, abandonner études et ambitions, oublier, se relever, et tout recommencer. Ici, la première année est consacrée aux cours de français, d’histoire, de géopolitique, mais aussi à la finance et au marketing. L’année suivante, les élèves s’en vont découvrir la vie professionnelle dans de grandes entreprises comme L’Oréal, Hermès ou BNP-Paribas, mécènes de la formation. Prestige oblige, ils sont aussi invités à visiter la Comédie-Française, les châteaux de la Loire ou de grandes institutions comme la Cour des comptes.
«C’est un programme pionnier en France, sans doute aussi au niveau international», glisse le directeur Mathias Vicherat, ancien de Sciences Po et énarque (de la même promo qu’Emmanuel Macron), ex-directeur de cabinet de Bertrand Delanoë puis d’Anne Hidalgo à la Ville de Paris. Accompagné du chargé de communication de l’école, il a libéré du temps dans son agenda pour parler de cette formation si spéciale.
Pourquoi le sort des réfugiés le touche autant ? Son père, Denis Vicherat, avait créé Utopia, une association prônant la solidarité et l’écologie, inspirée des expériences sud-américaines antilibérales. Sous Hidalgo, il avait été aussi responsable de l’accueil des réfugiés syriens. « Sciences Po a toujours eu une tradition d’hospitalité à l’égard des réfugiés et des opposants politiques, insiste-t-il. Quand le président Volodymyr Zelensky a souhaité s’exprimer pour la première fois devant des étudiants en dehors de l’Ukraine, il a choisi Sciences Po. »