
Jeune Afrique – Il y a une quinzaine d’années, l’écrivain Gaston Kelman publiait un livre à portée prémonitoire sur la Mauritanie : Les Hirondelles du printemps africain. Il y décrivait le processus démocratique mis en place par le regretté Ely Ould Mohamed Vall, qui avait assuré la transition après le coup d’État de 2005 contre le président Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya. L’écrivain avait rencontré le chef de la transition. De cette rencontre était né ce livre, qui affirmait que la Mauritanie était l’hirondelle qui annoncerait le printemps africain des transitions douces, de la bonne gouvernance, du développement économique et social.
Le destin est primesautier. Peu de temps après la parution du livre de Kelman, le président Mohamed Ould Abdelaziz orchestrait un nouveau putsch, renversant le président démocratiquement élu. L’on a alors bien ri des dons « prophétiques » de Gaston Kelman, qui n’en démordait cependant pas. Aujourd’hui, je pense que l’on est obligé de lui donner raison sur toute la ligne.
Exemple à suivre
Cela n’empêche nullement quelques crypto-révolutionnaires et certains détracteurs de la Mauritanie (parfois dans le pays-même) de ne trouver à cet État qu’un seul centre d’intérêt : « l’esclavage », auquel de méchants « Blancs » ont contraint de pauvres « Noirs ». Je ne veux pas ici minimiser la pratique de cette barbarie ni le fait qu’elle fut une réalité. Mais l’on ne souligne pas suffisamment le travail qu’ont accompli, depuis une vingtaine d’années, les gouvernements successifs, les militants anti-esclavagistes et la société mauritanienne dans son ensemble.
Pourtant, n’importe quel observateur impartial pourrait reconnaître que, dans la lutte contre les séquelles de ce fléau dont toute l’Afrique a été le cadre, la Mauritanie, qui a mis en place des mécanismes de lutte contre l’esclavage et s’est dotée d’un solide arsenal juridique, est encore, et de loin, un exemple à suivre. Aucun autre pays africain – et personne n’en parle – n’a encore criminalisé cette « tradition ».
Tout cela m’est revenu en mémoire au moment du coup d’État au Niger, et à l’occasion d’une discussion avec une amie. Je me suis alors dit, sans aucun cynisme mais, plutôt, avec une grande amertume : « Et de quatre ! » Quatre comme les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad), qui, en moins de cinq ans, ont connu des transitions politiques tumultueuses. Et, là encore, personne ne souligne l’exception mauritanienne.
Histoires apocalyptiques
Si ce type d’analyse découlait de l’adage selon lequel on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, on s’en réjouirait, bien entendu. Hélas, on est plutôt dans la logique selon laquelle en Afrique, il ne faut s’attendre qu’au pire, qu’il ne faut conter que des histoires apocalyptiques, ne parler que de misère, de mauvaise gouvernance, de détournements de fonds publics. Pour la Mauritanie en particulier, la même logique prévaut. Les journalistes et certains commentateurs préfèrent les raccourcis et se contentent de jeter sur ce pays un regard tantôt paresseux tantôt méprisant. Et l’on ne se prive pas de punir éternellement la Mauritanie en lui reprochant le coup d’État de 2008 contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
On rappelle constamment que le Sénégal est un pays démocratique même si le pouvoir est accusé de réprimer des manifestations de manière violente et meurtrière. Le Niger a fait une belle transition, et peu importent les conditions de l’élection de Mohamed Bazoum. Mais qui va rappeler que le président Ghazouani a été démocratiquement élu, lors d’un scrutin ouvert à tous, et que sa victoire a été reconnue par tous ses concurrents ? Personne. On continuera à dire que la Mauritanie est un pays de coups d’État, même si elle possède l’une des plus vieilles oppositions du continent et qu’elle a été la première à institutionnaliser la fonction de chef de l’opposition. Pourtant, elle se maintient mieux que ses voisins, et elle défend ses frontières avec un calme et une sérénité à toute épreuve. Elle a été parmi les premiers pays de la région à condamner le putsch au Niger.
Source : Jeune Afrique
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