
Afrique XXI – Quand il entre dans une pièce, Kossi Efoui en modifie instantanément l’atmosphère. Silhouette élancée, bijoux, tatouages, vêtements à nuls autres pareils, couvre-chef improbable, regard pétillant, l’auteur et dramaturge togolais transforme par sa seule présence le monde en un vaste théâtre.
Dans ce bar de Nantes (dans l’ouest de la France) qui en a pourtant vu d’autres, les regards se tournent vers lui, détaillent de haut en bas le corps svelte bizarrement paré avant de s’en retourner à une vie plus terre à terre de cravates ternes, de ceintures ajustées et de chaussures cirées. Lunaire sans être évanescent, l’auteur de Solo d’un revenant (Le Seuil, 2008) et de Cantique de l’acacia (Le Seuil, 2017) vient de publier son sixième roman, Une magie ordinaire, aux éditions du Seuil.
Présenté comme un roman, le texte échappe à tout qualificatif qui l’enfermerait dans un genre. C’est à la fois une autobiographie poétique, un essai politique, une confession à l’intention de ses six enfants, un chant libertaire, un hommage aux parents… Ceux qui connaissent les textes de Kossi Efoui, qui est aussi l’auteur de plusieurs pièces de théâtre, ne seront pas surpris : l’homme n’aime rien tant que brouiller les pistes et enjamber les barrières avec allégresse. « Moi, les frontières, je les enlève, tant que je peux les enlever, avec mes moyens de poète. Les surdéterminations de genre, de race, de clan, d’ethnie, je les contourne, je les évite, comme je peux, poétiquement, avec tous les moyens possibles à titre individuel », affirme-t-il.
Dans Une magie ordinaire, il s’attaque avec un courage certain à la question du genre – et du pénible poids que représente le fait d’être coincé dans une catégorie invariante : homme ou femme. « Plus je vieillis, plus je ressemble à ma mère, écrit-il. Ce n’est pas à cet instant-là que cette phrase est née dans ma tête. C’est bien des années plus tard, le phénomène s’étant répété et accentué avec le temps, que je la dirai, cette phrase, à Eyala (ma fille, 17 ans à l’époque). »
Liberté d’être, de dire et de créer
Être de plus en plus souvent confondu avec une femme, alors même qu’il vient de perdre sa mère, a conduit l’écrivain de 60 ans à raconter son adolescence, ses questionnements, ses choix : « J’ai quatorze ans. Et brusquement naît, à cette époque, depuis je ne sais quel for intérieur, un besoin impérieux de parures. Moi, un garçon, soumis à un code vestimentaire strict, je refusais d’être soustrait au monde des perles, des plumes, des bagues, des boucles d’oreilles, des bracelets. » Avec les années, et malgré la variété de sentiments plus ou moins (ig)nobles que cela peut susciter dans le regard des autres, ce besoin va demeurer. « Les hommes avec des bijoux, cela se trouvait dans à peu près toutes les sociétés, affirme aujourd’hui l’auteur. Désormais, les parures sont réservées à l’autre sexe, dans la modernité. »
Lui a eu plutôt de la chance : au moment où il a désiré ces « marqueurs », la mode était au « glam rock » et aux silhouettes androgynes.
Journaliste indépendant.
Source : Afrique XXI
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