Mauritanie – L’Odyssée controversée : quand l’immunité parlementaire devient le labyrinthe des conflits

Au cœur du tumulte politique qui anime notre nation, un débat enflammé aux contours épineux s’élève autour de l’immunité parlementaire, pilier sacré de la démocratie. Des propos controversés d’un député, prenant pour cible le Président de la République, ont déclenché une vive controverse.

Tout a commencé avec des propos blasphématoires présumés d’une étudiante, suscitant des réactions passionnées et plongeant l’Assemblée nationale dans un tourbillon politique inédit.

Mohamed Bouy Ould Cheikh Mohamed Fadel, député affilié à la mouvance baasiste, a saisi l’occasion d’une séance parlementaire pour exprimer son indignation face à l’inaction supposée des autorités à l’égard de l’élève. Lors de son discours devant le premier ministre, il a substitué les noms dans l’insulte, initialement dirigée vers le prophète, afin de suggérer que celle-ci visait le régime et le Président, Mohamed Ould Ghazouani. Il a qualifié cette intervention de « dénonciation », cherchant ainsi à mettre en lumière l’ampleur de l’insulte et à critiquer l’absence de réaction des autorités, tout en soulignant leur supposée clémence envers l’étudiante.

Dans une réaction rapide et sans équivoque, le Premier ministre a vivement dénoncé l’attitude du député impliqué dans la controverse. Suite à cette prise de position ferme, la majorité parlementaire a pris une mesure décisive en votant en faveur de l’exclusion temporaire du député concerné pour les quatre prochaines séances parlementaires. Cette sanction exemplaire témoigne de la gravité des propos tenus et de leur impact sur l’ensemble de l’arène politique.

Mais ce n’est pas tout, car la majorité parlementaire envisage désormais sérieusement de lever l’immunité parlementaire du député en question. Une telle démarche pourrait ouvrir la voie à des poursuites judiciaires, marquant ainsi une étape déterminante dans cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre dans les cercles politiques et médiatiques.

Cette affaire trouve des ramifications au sein de la société mauritanienne. D’un côté, certains demandent la levée de l’immunité parlementaire du député en raison de ses propos jugés offensants envers le Président. D’autres défendent le droit du parlementaire à une liberté d’expression sans entrave. Parallèlement, la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) a choisi de censurer l’intervention du député dans les médias nationaux, accentuant ainsi le débat en cours.

Dans l’opinion publique nationale, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la suppression pure et simple de l’immunité parlementaire pour les députés. Cette affaire nourrit le débat sur l’utilisation et l’éventuel abus de cette protection légale, ainsi que sur la nécessité de responsabiliser les représentants élus pour leurs actes et déclarations.

Le sujet met en lumière l’importance de l’immunité parlementaire en tant que concept juridique complexe. Il soulève des interrogations sur son origine, son utilité et son application dans le contexte politique actuel. La société mauritanienne se trouve face à une opportunité de réflexion sur la balance délicate entre la protection des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions et la nécessité de garantir leur responsabilité envers le peuple qu’ils représentent.

L’immunité parlementaire est établie par l’article 50 de la constitution dans le cadre de légalité mauritanien. C’est un concept juridique séculaire qui remonte à l’Antiquité grecque et romaine. À l’époque, les représentants élus bénéficiaient de protections contre les poursuites judiciaires pour garantir leur liberté d’expression sans craindre de représailles. Au fil des siècles, ce concept est devenu un élément essentiel des systèmes parlementaires modernes pour assurer l’indépendance et l’intégrité du pouvoir législatif.

L’immunité parlementaire joue un rôle crucial en atteignant plusieurs objectifs clés.

Indépendance du pouvoir législatif : Cette prérogative vise à protéger les membres du parlement contre toute ingérence extérieure, leur permettant ainsi d’agir librement et de prendre des décisions en toute autonomie.

Liberté d’expression : Les parlementaires doivent pouvoir exprimer leurs opinions, participer activement aux débats législatifs et représenter leurs électeurs sans craindre de poursuites judiciaires pour leurs paroles énoncées dans l’exercice de leurs fonctions.

Préservation du processus démocratique : L’immunité parlementaire est essentielle pour protéger le processus démocratique en permettant aux membres du parlement de remplir leurs devoirs sans craindre des représailles judiciaires, ce qui garantit l’intégrité des débats et des décisions politiques.

Exemples d’application à l’international.

France : Le système juridique français accorde une immunité parlementaire aux membres du Parlement. Ces derniers bénéficient de privilèges tels que l’absence de poursuites judiciaires, d’arrestation, de détention ou de jugement en raison de leurs opinions exprimées ou de leurs votes émis dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires, sauf en cas de flagrant délit.

États-Unis : Conformément à la Constitution des États-Unis, les membres du Congrès bénéficient d’une immunité absolue pour les discours et débats tenus au sein du Congrès, garantissant ainsi leur pleine liberté d’expression parlementaire sans craindre de poursuites judiciaires.

Allemagne : En Allemagne, l’immunité parlementaire protège les membres du Bundestag et du Bundesrat, leur offrant une protection contre les poursuites judiciaires liées à leurs activités parlementaires tout en préservant l’intégrité de leurs fonctions au sein des organes législatifs.

Notons que ladite immunité n’est pas d’une absolue inviolabilité, et qu’elle peut faire l’objet de restrictions ou de levée partielle dans certaines circonstances particulières, notamment lorsque des actes criminels graves ou des manquements aux devoirs des parlementaires sont en cause, hors de leurs fonctions législatives.

Dans notre cas d’espèce, le député a suscité le débat en exprimant son indignation quant à la réaction du gouvernement face à des propos visant le président de la République, comparée à l’apparente indifférence envers des offenses présumées contre le prophète de l’islam. Alors que le gouvernement a rapidement sanctionné le député pour ses propos, la situation contraste avec celle de l’étudiante accusée d’avoir profané le nom du prophète, qui n’a pas été arrêtée immédiatement.

Dans un tourbillon d’ironie, le député parvint à exposer son argument avec brio, car le gouvernement réagit effectivement avec promptitude et fermeté face aux insultes proférées à l’encontre du Président de la République. Tel un funambule habile, il jongla avec les mots, changeant le cours de la dénonciation pour mettre en évidence la réaction différenciée des autorités envers des offenses présumées. Le jeu subtil des paroles soulignait l’apparente indulgence pour l’étudiante accusée, tandis que les paroles visant le régime suscitaient une réponse rapide et sans équivoque

Néanmoins, la question demeure de savoir si les revendications du député, qui appellent à l’arrestation et à l’exécution d’une étudiante pour blasphème, sont compatibles avec les droits humains et les normes juridiques internationales.

Dans notre monde contemporain, où règne l’État de droit, la primauté des droits humains se dresse tel un pilier inébranlable, élevant la dignité et l’égalité de chaque être vers la lumière de la justice. Mais voilà que dans cet édifice de principes, les paroles du député résonnent tels des échos discordants, suscitant des interrogations quant à l’égard des libertés fondamentales et à l’équité du temple de la justice.

L’immunité parlementaire, tel un bouclier, protège les élus des flèches acérées de la persécution politique, leur permettant ainsi de s’acquitter de leurs nobles fonctions sans redouter l’adversité. Pourtant, tout comme une épée à double tranchant, ce bouclier doit être manié avec prudence, afin de conjurer tout abus potentiel et préserver la cohésion de la république. Il est indispensable que les gardiens du droit prennent garde à ne pas accorder une impunité injustifiable à ceux qui pourraient trahir les fondements mêmes de notre société, en sapant les principes juridiques et éthiques qui le gouvernent.

Ainsi, la quête perpétuelle du juste équilibre se poursuit, entre la protection nécessaire des parlementaires pour qu’ils puissent œuvrer au service du bien commun et la sauvegarde intransigeante des valeurs qui façonnent notre identité. Car dans ce théâtre de la justice, où les acteurs se meuvent dans l’éclat de la raison et de la vérité, la stabilité de l’État de droit repose sur l’harmonie subtile entre la liberté et la responsabilité. Seul ce fragile équilibre peut préserver notre société, où chaque individu, guidé par la loi équitable, peut s’épanouir sous l’égide de la dignité et de la fraternité.

 

Aboubacry Lam

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 26 juillet 2023)

 

 

 

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