Mauritanie – Djibril Zakaria Sall : Éternel chercheur de la Vérité

Éternel chercheur de la Vérité.

Traversé de part en part des choses indicibles

dans la grisaille de mon existence

j’ai choisi l’Errance —

Écriture muette, demeure nominale

que transporte langue poreuse de voix

sur le chemin escarpé de la parole aurorale.

Djibril Zakaria Sall, Enfin le poème, Atar, le 10 février 1982.

 

Djibril Zakaria Sall est né le 23 avril 1939 à Rosso, dans la région du Trarza, au sud-ouest de la Mauritanie.

De 1953 à 1960, il poursuit ses études secondaires au célèbre Collège moderne Xavier Coppolani, d’où sort la première élite de la Mauritanie post-indépendante. Il continue jusqu’au baccalauréat, qu’il ne passera pas et, en 1960, devient instituteur adjoint stagiaire. Il a écrit six volumes de poèmes, dont quatre inédits. En 2014, les éditions 15/21 publie un florilège de ses textes sous l’intitulé de « Je veux parler ».

C’est en 1967 que sa vocation, de devenir poète se manifestera. Il envoie ses premiers poèmes à Léopold Sédar Senghor, l’une des figures de proue de la négritude, lui-même cofondateur de ce mouvement, qui l’enjoint d’abandonner la rime pour écrire à consonance plus africaine, c’est-à-dire de se consacrer « à la poésie négro-africaine pure qui est rythme et image ». Djibril Zakaria Sall, prend d’emblée son aîné au mot ; désormais, il ne composera qu’en vers libre.

Voici l’extrait d’un poème qui signe son acte de divorce avec la métrique. Le poète veut enfin naviguer sur les flots de l’imaginaire sans entrave. Il désire caresser la beauté hors de la volière de l’alexandrin et peindre l’invisible avec les couleurs de tous les vents :

 

« Laissez ma plume voguer, voler

jusques aux confins du savoir

Laissez-moi plume cueillir le pollen de la fleur de l’ESPRIT

[…]

Ô palestre céleste !

La rime m’enchaîne

Le quatrain me tourmente

L’alexandrin m’encercle

PRISON !

Du haut de ta tour laisse germer le pollen du vers libre sur le stigmate du pistil de ma PENSÉE ».

 

Dans son poème intitulé, « Demain, le soleil lèvera, » le poète redonne l’espoir à ses frères et sœurs qui s’éteignent à petit feu dans les geôles du désespoir aux quatre vents de ce monde exsangue ; ce dernier tente de les rasséréner :

« Souriez, vous qui de pleurs avez vécu

Riez, vous qui avez vécu des malheurs

Plus de larmes

Plus de soupirs regorgés d’amertume

[…]

Demain le soleil se lèvera

Et au soleil vous aurez une place. »

Ayant poussé ses premiers vagissements dans un désert d’exil où les âmes des oiseaux noirs suffoquaient dans une volière à ciel ouvert ; toute sa vie durant, il ne cesse de se battre pour la liberté, la mienne – celle de son peuple ordalie dans la chair.

« Le sang de l’encrier est mon sang, » confie-t-il à une feuille vierge qui s’était fait un jour sa confidente.

 

L’écriture était pour lui une nécessité vitale, une arme contre la mort qu’était le moteur même de leur vie. Alors il cueillait les pollens des alphabets et les tressait soigneusement avec l’unique vocation de trouver la Vérité et que l’on sache qu’il a survécu « à la douleur, à la débâcle, à l’euphorie sanguinaire des ennemis » de l’humain. La survie est la grande aspiration de tous les damnés de la terre. Les négros-mauritaniens de sa génération n’étaient point une exception. L’écrasante majorité d’entre eux traînait leur agonie interminable à la face d’un soleil tavelé de deuil.

Parfois quand une épine le piquait au vif à défaut des feuilles blanches ou d’un carnet à sa portée, il se penchait vers la terre, ramassait des papiers des cigarettes pour écrire.

 

Sa plume était verticale contre toute forme d’injustice tel un coup de poing contre la sauvagerie humaine.

Lors des émeutes sanglantes à Soweto, en Afrique du Sud, Djibril entonne une élégie.

« Éternel Enfer !

Où la nuit je rumine

L’amertume du jour ;

Éternel Enfer !

Où l’estomac digère

Le vide du ventre

Vide

Éternel Enfer !

Où l’enfant affamé

Hait le sein vide

De sa mère

Que ne suis-je pas né ailleurs,

Là-bas où le soleil brille

Pour tout le monde.

Pourquoi naître s’il faut souffrir ?

[…] »

 

Pour ses frères de sang tombés de l’arbre de la vie comme des fioles fanées dans l’automne, il dressait des stèles de poèmes. Avec la dague du chagrin embrochant le cœur, il déposait des bouquets de mots sur la pierre tombale de chacun de « soleil fusillé ».

En 1977, il publie un poème « Le coup de piston » qui sera censuré par le gouvernement, allant jusqu’à l’interdire d’écrire et de publier dans son propre pays. Ce texte est plus que d’actualité dans cette contrée où le népotisme et le clanisme règnent. Pas de méritocratie ! Dans le poème « Je démissionne — je suis incapable, » il pousse un cri taciturne, il déclare : « Il faut l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». L’injonction du poète ne s’est pas encore faite chair.

Malgré la censure, l’intrépide barde ne s’arrêtera jamais d’écrire.

Il dira quelques années plus tôt :

J’écrirai

même si tu tortures ma conscience

même si tu brises mes côtes

[…]

même si de mort tu me menaces

même si dans l’enfermement

je devrais perdre la vie

j’écrirai mon testament sur ta conscience.

Et oui, il écrira jusqu’à l’usure de ses rétines. Ce martinet qui ne voulait se reposer que pour mourir — est, ce jour, contraint de ranger sa plume à cause de sa cécité. Toutefois, il conserve sa maestria. Son âme d’enfant n’est dotée d’aucun cheveux blanc. Nonobstant, cet arrêt, Djibril, demeure poète jusqu’au fond de l’âme.

À tous ces politiques qui nous gavent des boursouflures, le poète de « l’errance » donne raison à sa muse :

« Ô ! Muse tu as raison, on ne nourrit pas son peuple avec des slogans

Des promesses, des meetings, des paroles mielleuses

Halte à l’exploitation !

Ainsi nous met-il en garde contre les verbeux et les opportunistes.

« Peuple debout, » martèle, le voleur de feu.

N’est-il pas le temps de précipiter le Grand soir de toutes les ignominies, guérir l’âme infectée de notre patrie ? N’est-il pas le temps de décréter le changement que nous voulons ? Oui, il est temps de hâter l’éclosion d’un grand jour, celui de la liberté et de l’égalité.

Pour terminer, je vous exhorte la lecture des fulgurances poétiques de Djibril Zakaria qui, pour ma part, est l’un des plus grand poète de Mauritanie. Sinon le plus grand. La parole d’un poète est plus redoutable qu’une bombe. Seuls les tyrans semblent s’en apercevoir. Voilà pourquoi ils s’escriment à résoudre les poètes en silences.

Je vous remercie.

 

 

Nouakchott, 25/07/2023.

Salihina Moussa

 

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