Au Kenya, une course de fond contre les violences conjugales

M Le Mag – ReportageAprès le féminicide de la double médaillée mondiale Agnes Tirop, des athlètes de haut niveau ont créé la fondation Tirop’s Angels afin de venir en aide aux coureuses victimes de violence. Elles interviennent aussi dans les écoles afin de sensibiliser les plus jeunes à l’égalité des sexes et changer les mentalités.

Les yeux dans les yeux, sans ciller, Joan Chelimo parle de la « mare de sang » qui hante ses souvenirs depuis le 13 octobre 2021. La marathonienne kényane de 32 ans se reposait chez elle, dans la petite ville d’Iten, après une session d’endurance, lorsqu’elle est assaillie de coups de téléphone. Son amie Agnes Tirop, avec qui elle avait l’habitude de s’entraîner, vient d’être retrouvée dans son salon, morte.

Quelques semaines plus tôt, la championne avait battu haut la main le record du monde du 10 kilomètres sur route. Refusant de croire la terrible nouvelle, Joan Chelimo se précipite au domicile de son amie, une petite maison en brique, devant laquelle s’amasse déjà une foule de curieux. Fébrile, elle se fraye un chemin jusqu’à la fenêtre. Joan Chelimo aperçoit le corps étendu sur le sol. Agnes Tirop a été frappée à la tête avec une bêche et poignardée à la nuque.

« D’un coup, c’est comme si la nuit m’avait engloutie. J’ai failli m’évanouir », raconte la coureuse. Le lendemain, la police arrête le meurtrier présumé : le mari d’Agnes Tirop, qui passe aux aveux avant de se rétracter. La nouvelle fait l’effet d’un électrochoc pour Joan Chelimo. Celle qui a gagné le marathon de Séoul en 2022 décide alors de mener un nouveau combat, pour son amie. « Cette histoire de violence au sein du foyer, c’est celle de tout un tas de coureuses par ici. Peut-être parce que je la connaissais et qu’elle était connue, cela m’a réveillée. J’étais déterminée à lutter pour qu’il n’y ait pas d’autres Agnes. »

 

L’envers du décor pour les coureuses

 

Perdu dans l’immensité luxuriante et escarpée des hauts plateaux de la vallée de Kerio, à l’ouest du Kenya, Iten est un royaume, celui des maîtres de la course de fond internationale. C’est dans le décor de ce discret chef-lieu avec ses toits en tôle et ses commerces de légumes, de matériel électronique ou de bricoles qu’ils parfont leur foulée. Sur les sentiers alentour, ils sont des dizaines, seuls ou en groupe, à cavaler chaque jour dans un nuage de latérite, la terre rouge de la région. Mais il y a aussi l’envers du décor pour les coureuses.

« Depuis que les femmes ont du succès, les hommes se rapprochent d’elles pour tenter d’en profiter. Ils sont les maîtres de leurs carrières. Combien de fois je me suis retrouvé à batailler avec des types qui voulaient se mêler de tout… », soupire Jean-Paul Fourier, un agent belge qui a représenté pendant trente ans de nombreux athlètes kényans au plus haut niveau. Les maris des athlètes s’improvisent à la fois entraîneurs et manageurs, s’occupent des contrats de leur femme, investissent leur argent. L’époux d’Agnes Tirop s’était ainsi débrouillé pour mettre à son seul nom les terrains qu’avait achetés la coureuse.

Après le meurtre, Joan Chelimo et d’autres sportives d’Iten ont décidé d’unir leurs forces. A l’issue d’intenses discussions menées sur une multitude de groupes WhatsApp, cinq coureuses ont créé, en décembre 2021, Tirop’s Angels, une fondation pour lutter contre les violences conjugales et sexuelles. Une démarche inédite à Iten.

« On ne savait pas bien comment s’y prendre avec la paperasse, mais on savait ce qu’on voulait : expliquer ce que sont les violences domestiques et donner la parole aux femmes », dit la cofondatrice et professeure Joan Jepkorir. Les Tirop’s Angels n’avaient pas de temps à perdre : quelques mois après leur création, Damaris Mutua, une coureuse d’Iten, a été victime d’un féminicide, assassinée par le coureur éthiopien qui partageait sa vie, aujourd’hui en fuite.

Lire la suite

 

 

 

 

 

 

Source : M Le Mag

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page