– On se souviendra de l’année 2023 comme celle où les enseignants ont dû apprendre à reconnaître des devoirs rédigés par le logiciel ChatGPT. Et pourtant, plus que l’intelligence artificielle, c’est une intelligence biologico-naturelle qui se charge depuis longtemps des travaux des élèves : celle de leurs parents, voire de leurs grands frères, grandes sœurs, ou professeurs particuliers.
Cette aide discrète (ou pas) a longtemps été saisonnière, avec un pic en juin – période des mémoires de fin d’étude, des projets à présenter à l’oral, des fiches de lecture à rendre en urgence dans l’espoir de remonter une moyenne fragile et les dernières notes avant les conseils de classe.
Désormais, le coup de main s’étale sur l’ensemble de l’année, alimenté par les angoisses liées à Parcoursup et au devenir scolaire des enfants.
Ces copies parentalo-dirigées, Laurence les flaire à cent mètres. « Ça concerne le plus souvent des exercices d’analyse de documents », diagnostique cette prof d’histoire-géo dans un lycée parisien, qui a souhaité garder l’anonymat, comme les autres personnes interrogées. « Le problème, c’est que ces devoirs font appel à des méthodes que les parents ne maîtrisent pas forcément ; ils sont restés sur des souvenirs d’études qui ne correspondent plus aux critères actuels. Aujourd’hui, on demande des études critiques, il faut réfléchir sur l’objectivité des textes, leur complémentarité. Les parents ne peuvent pas y penser parce qu’ils ne l’ont pas fait à l’époque. »
Faute de preuve formelle, en classe, Laurence se risque à formuler des « Tu l’as fait tout seul ? » La correction lui pose des problèmes bien plus aigus : « Les parents ne sont pas contents s’ils sont mal notés. » Sans aller jusqu’à avouer être les auteurs du devoir, ces derniers se trahissent quand ils viennent lui demander des explications de façon appuyée sur la notation, persuadés qu’ils sont d’avoir eu bon à tout…
« Il y a deux types de parents qui font les devoirs de leurs enfants : ceux qui écrivent carrément à leur place et ceux qui leur dictent la réponse », a théorisé Manon, après une première année d’enseignement en CE2, dans un établissement intégré à un réseau d’éducation prioritaire, dans la Meuse. Des premiers, elle reconnaît l’écriture ; les autres, elle les grille aux tournures apparues dans la copie et que l’élève n’emploie quasiment jamais.
Le jour même de notre discussion, un écolier en difficulté lui a apporté des exercices « finis à la maison », où tout semblait inhabituellement juste. « Avant, ses parents écrivaient à sa place dans son cahier. Depuis que je leur en ai parlé, ils lui dictent les réponses. J’imagine qu’ils font ça pour cacher ses difficultés… Ça ne marche pas vraiment. »
Déresponsabilisation des écoliers
Evidemment, comme toute la profession, elle déconseille de faire les devoirs à la place des enfants. Une étude longitudinale américaine, publiée en 2022 et conduite auprès de 20 000 enfants de la maternelle à la sixième, avait montré que trop aider sa progéniture à faire ses exercices n’engendrait pas de bénéfices sur ses résultats en maths et en lecture. L’explication : en s’investissant exagérément, les adultes déresponsabiliseraient les petits apprentis.
Ces parents laborieux connaissent, bien sûr, le discours sur les bienfaits de l’autonomie. Ils ont entendu des enseignants dire, en début d’année, qu’il fallait laisser faire les écoliers, que cela permettait aux professeurs de voir où ils en étaient, et aux élèves de se corriger ensuite.
Mais un enfant qui rentre en disant « Je vais refaire mon devoir pour comprendre mes erreurs », ils n’en ont jamais vu à la maison. Et beaucoup craignent que leur fils ou leur fille se résigne à n’avoir rien compris. Et si il ou elle avait besoin qu’on lui montre comment faire ?, suggère Nathalie, directrice d’une société d’études, qui ne regrette absolument pas cette semaine passée à s’occuper du mémoire de son grand enfant de 22 ans – au contraire, elle se repent de ne pas avoir mis le nez dans ses devoirs bien plus tôt : « On aurait dû faire ça il y a quinze ans sur Clovis et le complément d’objet direct. Il serait autonome aujourd’hui. »
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– Le 08 juin 2023Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com