Les Observateurs – Plusieurs villes de Mauritanie ont été secouées en début de semaine par de violentes manifestations ayant fait au moins un mort. Celles-ci ont éclaté à la suite du décès d’un jeune Noir – Oumar Diop – après son arrestation par la police à Nouakchott, dans la nuit du 28 au 29 mai. Mais selon plusieurs habitants contactés par notre rédaction, les racines de la colère actuelle sont bien plus profondes, et reflètent notamment le ras-le-bol de la population face au comportement de la police en général.
Oumar Diop a été arrêté par la police dans le quartier Sebkha, à Nouakchott, la capitale mauritanienne, dans la nuit du 28 au 29 mai, avant de décéder quelques heures plus tard.
Dès le 29 mai, sa mort a déclenché de vives protestations à Nouakchott, mais également dans d’autres villes, comme Nouadhibou et Boghé.
Les premières échauffourées ont éclaté le 29 mai devant cette morgue du centre hospitalier national, à Nouakchott, où se trouvait le corps d’Oumar Diop.
« On a crié pour réclamer justice pour Oumar Diop »
Amadou (pseudonyme) est un étudiant qui a participé aux manifestations le 30 mai dans le quartier Sebkha de Nouakchott, où Oumar Diop avait été arrêté. Il a tenu à garder l’anonymat, par peur de représailles.
On a crié et levé les bras, pour réclamer justice pour Oumar Diop. Mais les forces de l’ordre ont commencé à tirer du gaz lacrymogène, alors qu’on approchait du commissariat où il avait été détenu. Certains ont alors répliqué avec des pierres. Des gens se sont mis à courir partout. J’ai donc préféré m’éloigner.
Ensuite, j’ai tenté de rejoindre le commissariat en empruntant un autre chemin, avec d’autres jeunes. Je suis resté environ une heure là-bas pour crier « justice », et même s’il n’y a pas eu de gaz lacrymogène à cet endroit, ça a été tendu entre les policiers et les plus jeunes. J’ai vu des femmes et des adolescents être frappés.
Environ 24 heures après le décès d’Oumar Diop, les forces de l’ordre ont donné leur version des faits sur Facebook : elles assurent avoir vu des jeunes hommes en train de se bagarrer, dont trois qui malmenaient Oumar Diop, « à moitié inconscient », en raison de l’effet de produits psychotropes. Selon elles, les trois personnes ont pris la fuite et elles ont ensuite emmené Oumar Diop au commissariat de Sebkha, à des fins d’enquête. Toujours d’après la police, deux heures plus tard, il se serait plaint d’être essoufflé. Il a alors été transféré à l’hôpital national, où il est décédé peu après.
De leur côté, les proches d’Oumar Diop contestent la version de la police : selon eux, il n’y aurait eu ni bagarre, ni substances psychotropes, mais une simple arrestation sans motif apparent, suivie de coups ayant entraîné sa mort – une version reprise par les protestataires.
« On en a assez des abus de pouvoir de la police »
Amadou (pseudonyme) précise :
Je suis sorti protester car j’estime que la version de la police ne correspond pas à ce qui s’est passé : nous voulons la vérité. Par ailleurs, elle a également dit que les manifestants étaient des délinquants… [Sur Facebook, elle a déclaré qu’un « certain nombre d’étrangers » avaient participé aux émeutes, et que c’était « contraire aux dispositions des lois », NDLR.]
D’une manière générale, on en a assez des abus de pouvoir de la police. Tout le monde en a déjà été victime. À chaque fois qu’on croise des agents, on prie pour ne pas être fouillés, car si on a de l’argent, ils font tout pour le récupérer, et quand on refuse, ils nous emmènent au commissariat, où on est torturés.
La dernière fois que j’ai été fouillé, c’était il y a quelques mois, alors que j’étais en voiture avec des amis. Autre exemple : en 2019, j’avais obtenu une autorisation auprès de la préfecture pour tenir un stand, mais une fois le stand installé, deux policiers sont venus me dire que mon autorisation n’avait été pas été signée par la bonne personne. Ils m’ont alors demandé de retirer mon stand ou de les suivre au commissariat. J’y suis allé, et là-bas, ils m’ont réclamé l’équivalent de 50 euros pour me laisser partir. Au final, j’ai pu sortir uniquement grâce à l’intervention du préfet…
Je ne veux pas vivre dans un pays où on protège les policiers au lieu de la population.
Selon deux autres habitants de Nouakchott contactés par notre rédaction, la colère actuelle s’explique également par le fait qu’un militant des droits de l’Homme, Souvi Ould Jibril Ould Cheine, était également décédé dans un commissariat en février, à la suite d’un interrogatoire musclé, selon sa famille.
Pour certains, les manifestations des derniers jours s’expliqueraient aussi par les discriminations ressenties par la population noire dans ce pays. La Mauritanie compte quatre millions d’habitants environ, dont des Maures blancs, des Maures noirs et des Noirs de différentes ethnies. Bien qu’aboli en 1981, l’esclavage a laissé des traces dans la société.
Une enquête en cours
Le procureur chargé de l’enquête sur la mort d’Oumar Diop a assuré que les policiers avaient été auditionnés et que le rapport final de l’autopsie était attendu.
Les protestations ont fait au moins un mort, à Boghé.
Des manifestants portent le corps d’une personne tuée à Boghé, le 30 mai.
Après trois jours d’émeutes, la situation s’est finalement calmée à partir du jeudi 1er juin, à la suite de la coupure de la 3G et de la 4G pour éviter que les informations ne circulent. Les forces de l’ordre ont également été déployées dans plusieurs quartiers de la capitale, selon l’un des habitants contactés par notre rédaction.
Source: Les Observateurs (France 24) – Le 02 mai 2023
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com