Au Sénégal, la renaissance du falé, un coton écolo traditionnel

Artisanat séculaire, la fabrique de ce fil fin et résistant, non lavé et non blanchi, était en déclin, victime de l’exode rural. Sous l’impulsion de la Sénégalaise Fatim Soumaré, un collectif de fileuses issues de cinq villages du pays a relancé la production. En s’appuyant sur un atelier de tissage et une marque de design, Falé.

Le Monde – Les baobabs se sont raréfiés le long de la N1 puis de la piste en latérite, et Dakar n’est plus qu’un souvenir lointain quand apparaît le petit hameau de Fayil, sur les terres salées du Sine Saloum. Dans cette zone située au sud-ouest de la capitale, le filage artisanal du coton se transmet depuis des décennies de mère en fille. A notre arrivée, assises sur des nattes sous un arbre, les fileuses sont à l’œuvre, suivant à la lettre le protocole ancestral.

Après l’égrainage, qui sépare les graines de la fibre végétale à l’aide d’une tige en fer appuyée sur un support en bois, elles peignent la matière entre deux brosses en bois et pics métalliques pour obtenir un coton mousseux, c’est le cardage. Les fibres obtenues sont ensuite torsadées et étirées sur un fuseau afin de former un fil fin et résistant, le falé. Une matière brute et élégante, issue d’un coton biologique, cultivé sans irrigation. C’est avec ces écheveaux non traités que les tisserands confectionnent depuis deux siècles les précieux pagnes tissés qui sont portés ou offerts lors de cérémonies traditionnelles de la communauté sérère.

Après les Wolof et les Peuls, les Sérères composent la troisième ethnie du Sénégal, installée dans le centre-ouest du pays. Ce peuple, parmi les plus anciens à s’être établis dans la zone, était doté d’un code vestimentaire strict qui allait de pair avec une tradition du filage et du tissage.

Un artisanat d’art, précieux mais fragile. La communauté des artisanes fileuses décroît dans le pays. Leur âge avancé et l’exode rural menacent la pérennité du geste. Dans cette société déjà à 49 % urbaine, la nouvelle génération se détourne de la vie au village, peu rémunératrice, attirée par les lumières de Dakar à trois heures de route. La forte concurrence du fil industriel, plébiscité par les tisserands, parce qu’il est acheté filé et symbole de modernité, a encore accru le désintérêt pour ce geste.

« Dans vingt ans, cette tradition risque d’être perdue car il n’y aura plus de femmes avec ce savoir-faire », s’alarme Jeanne D’arc Sarr, quinquagénaire de Fayil, formée dans sa jeunesse à ces savoir-faire artisanaux. Comme elle, Marceline Diouf, fileuse de 70 ans qui a « hérité ces gestes de [s]es arrière-grands-mères », craint désormais une rupture de la chaîne de transmission.

« Autonomisation des femmes »

Consciente de cette menace, la Sénégalaise Fatim Soumaré, 34 ans, s’est lancée dans une opération de sauvegarde après un véritable coup de foudre. C’est en décembre 2020, lors d’un séjour au Sénégal, son pays de naissance, que celle qui a exercé pendant onze ans dans le monde de la finance, en France, découvre le falé et rencontre « ces femmes au savoir-faire extraordinaire ».

Fille d’une commerçante et teinturière de tissus traditionnels, Fatim Soumaré, qui reconnaît avoir toujours nourri « une passion pour le textile et les fibres », décide de bifurquer radicalement. Emerveillée, elle pose ses valises dans le pays et, devenue designer textile, elle crée, en octobre 2021, sa marque, Falé, qui s’appuie sur un atelier de tissage et ambitionne de monter un collectif d’artisanes.

Des semaines durant, la jeune femme sillonne les pistes du Sine Saloum pour convaincre les fileuses d’une trentaine de villages d’adhérer à son projet de revalorisation et de sauvegarde du filage traditionnel par les communautés. « Certains villages ont refusé. Dans d’autres, il ne restait plus que quelques fileuses trop âgées pour s’engager », se souvient-elle. Pourtant, à force de patience, elle en rallie cinq, qui collaborent désormais avec sa marque au sein d’un collectif regroupant deux cents femmes dont soixante-quinze à Fayil.

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(Fayil et Djilor Djidiack (Sénégal), envoyée spéciale)

Source : Le Monde

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